Anachroniques

27/08/2017

De l’histoire immédiate à l’histoire

Mastoros Dimitri & Wouters Nicolas, EζάqxεĮa L’Orange amère, un récit de Dimitros Mastoros & Nicolas Wouters. Dessin de Dimitrios Mastoros, Futuropolis, 2016, 200 p. 24€
Portrait d’une Grèce en révolte, dessins sombres et expressionnistes qui tracent un regard radical et lucide. L’économie générale est en berne, les commerces en ruine, à l’image du café tenu par l’oncle et la tante de Nikos, le héros. On se trouve dans le quartier d’autonome d’exarcheia, autour de la place du même nom, où c’est la population du quartier qui régit sa vie propre. Exarcheia est un foyer connu de l’anarchisme grec. La bande dessinée prend appui sur le mouvement d’occupation permanente des places déclenché par la « crise de la dette » fin mai 2011 (1)
Il plane un enthousiasme de résistance et de vie à mener. Mais il règne aussi un sentiment général de défaitisme où passe l’itinéraire de junkys tandis qu’une une pauvreté endémique imprègne l’atmosphère de l’univers décrit. Bien que jamais nommée, la troïka (Commission européenne, FMI -fonds monétaire international- et la BCE -banque centrale européenne) est là. La fin, avec la mort du chien fétiche des manifestants, à la suite d’une attaque par les forces de police, est emblématique de la dépossession de la population du quartier de son action
Le héros, étudiant, est là de passage, pour voir un oncle et une tante. Quand l’oncle fait un AVC, il décide de rester un peu plus pour aider sa tante et parce que le cousin, Tzibis, tente de l’impliquer dans l’organisation d’autonomie du quartier en tant que graffitiste.
On assiste ainsi à la vente directe de produits agricoles, à l’organisation de fêtes, à une libération de l’art, mais on sent la menace d’une reprise en main par la municipalité. Des travailleurs clandestins sont aussi venus se réfugier là, sans qu’une intégration à la dynamique de solidarité réussisse pleinement. La démocratie d’action directe qui prévaut est une lente construction. Et on sent les militants et militantes, œuvrant à son développement, manquer du temps nécessaire pour l’appropriation collective de la gestion de la place, pour la prise en compte de l’ensemble des questions, économiques, sociales, et des vies individuelles. Enfin, à côté de la spontanéité et du contrôle autonome des activités de la place et du quartier, perdurent des trafics d’ordre mafieux, qui n’ont rien à voir avec les idéaux à l’origine de l’expérience d’exarcheïa et qui l’affaiblissent. Finalement, Nikos, ne parie pas sur l’engagement. Après un bout de chemin avec Tzibis, il va poursuivre sa route de vacances.
Cette fin est à lire en miroir de la répression qui clôt la dernière initiative d’exarcheïa. La question posée est celle que porte Tsibis : même face à l’impossible probable, lutter reste la seule option pour les gens du peuple. Mais l’individualisme dont Nikos reste porteur, contrevient à ce choix, sans que pour autant la B.D. n’appose un quelconque jugement moral.

(1) Même si dès 2008, des assemblées populaires existaient dans la périphérie d’Athènes, le mouvement démarra en 2010, il se radicalisa à partir de fin mai 2011. L’occupation la plus connue dans les médias fut celle de la place centrale d’Athènes, Syntagma qui dura deux mois pleins ; voir Echanges n°150 hiver 2014/2015, p.13 et 15
  
Lanzidei Graziano et Massimiliano, Canal Mussolini, d’après le roman d’Antonio Pennachi, traduction de l’italien Nathalie Bauer, Steinkis, 2017, 200 p. 20€
Le roman de Pennachi a été salué lors de sa sortie par plusieurs prix. Il s’agit d’une saga familiale, témoin des mouvements contradictoires qui secouent l’Italie du début du XXème siècle. D’abord socialiste, le clan des Peruzzi, des métayers en Vénétie, va suivre la dérive fasciste accédant alors à la propriété dans les marais Pontins, au sud de Rome. Certains enfants seront enrôlés dans les guerres coloniales, en Lybie notamment, puis dans la seconde guerre mondiale. La terre, elle, n’attend pas et les membres du clan se soudent pour vivre de l’agriculture et de leur exploitation. La bande dessinée rend parfaitement l’ambiance du roman qui a choisi de suivre des gens du peuple embarqués du côté des chemises brunes afin de soulever les contradictions entre les luttes politiques qui sont des luttes de pouvoir et le combat pour la survie et contre les propriétaires, les créanciers et les banquiers. Le récit sans concession plonge le lecteur dans les tiraillements moraux et sociaux autant que psychologiques que les points de vue panoramiques empêchent de saisir alors qu’ils forment l’étoffe même de l’histoire. 
Philippe Geneste


20/08/2017

Au cœur de certaines évolutions de l’album

Gillot Laurence, Albertus, l’ours du grand large, illustrations de Thibaut Rassat, Milan, 2016, 40 p. 11€90
Quel bel album que voici ! Albertus, c’est un bateau au long cours. Dessus un équipage restreint assure les manœuvres et le commerce des marchandises propres au transport maritime. Un monde d’hommes rompus aux aléas du climat, à la rudesse des conditions de vie. Or, mystère : un ourson en peluche est retrouvé sur le pont. Les dessins de confection géométrique, illustrées de motifs foisonnants, pris dans une composition équilibrée et toujours aisément saisie dans une dimension narrative, assurent une étrangeté fantastique qui crée une tension réelle, celle de l’intrigue : à qui appartient donc cette peluche. On l’apprend à la fin, au moment où l’ourson va renaître dans les bras d’une orpheline indienne. On apprendra alors, aussi, l’histoire d’un des marins. Le cœur se serre, l’univers viril du bateau se fait tendre. L’Albertus peut repartir vers de nouveaux ports…
Romuald, Les Pyjamasques et l'opération zéro, Gallimard Jeunesse - Giboulées, 2016, 28p. 6€50, Romuald, La légende des Pyjamasques, Gallimard Jeunesse – Giboulées, 2016, 34 p. 9€90
Voici, un préquelle (hors série) qui a profité de la sortie télévision des pyjamasques. D’abord sortie aux USA, la série est sortie le 12 décembre 2015 sur France 5. Ces deux albums reviennent sur l'origine des pouvoirs des trois petits héros, et nous font entrer dans l’univers fondé sur des néologismes nombreux et des principes narratifs proches du récit de l’heroïc fantasy (présence par exemple des animaux totems ou daemons). Si les albums sont destinés aux enfants de 3/7 ans, la commission lisez jeunesse a dévoré les albums ce qui permet de les recommander jusqu’à 10/11 ans…
Splat range sa chambre, d’après le personnage de Rob Scotton, Nathan, 2016, 26 p. 5€95 ; Splat fait de beaux rêves, d’après le personnage de Rob Scotton, Nathan, 2016, 26 p. 5€95
Pur anthropocentrisme dans cet album, prétexte à « élever » l’enfant, à lui inculquer « les bons réflexes ». C’est drôle, certes, animé de clins d’œil à des classiques de la littérature de jeunesse, mais le choix d’assurer l’intérêt du petit enfant (et c’est bien le cas) par l’usage de personnages animaux ne convainc pas. En revanche, l’album replace l’humour comme figure de rhétorique propre à la transmission des valeurs sociales normées et codées. Comme quoi, l’humour n’est pas l’allié naturel de la subversion contrairement à ce que les littérateurs et leurs critiques aiment tant dire et proclamer.
Jean Didier & ZAD, Papi chocolat, Utopique, 2017, 40 p. , 15€50
On peut lire l’album de manière littérale : ce sera l’histoire d’un duel entre une petite fille et son grand-père qui, chocolatier de métier, a pris sa retraite et ne veut plus entendre parler de faire des chocolats, fût-ce pour sa petite fille adorée.
On peut lire l’histoire avec une perspective sociale : ce sera l’histoire d’un apprenti pâtissier devenu chocolatier et tenant un magasin prospère. Le héros livre son plaisir d’arriver à l’âge de la retraite et de s’adonner à des activités non contraintes ni dans le temps ni dans leur contenu. L’album rebondit quand sa petite fille, Salomé, le harcèle afin qu’il lui cuisine des chocolats. Mais pourquoi faudrait-il que ce soit toujours le producteur qui œuvre ? Les autres ne pourraient-ils être à l’origine de la dite production ? Salomé comprend cela et elle va demander à son grand-père de lui apprendre à cuisiner les chocolats. Elle va se faire apprentie, rejoignant par là, son grand-père non en tant que pourvoyeur de gâteau mais en tant que producteur. Le métier s’apprend et se partage.
La recette finale qui est donnée par l’album devient alors signe de ce partage à la source de la transmission humaine des gestes de la vie en société. L’album devient alors une allégorie de la condition humaine, en tant que chaque être est acteur, de sa vie grâce aux interactions avec les autres.
Garoche Camille, Suivez le guide ! Promenade au jardin, Casterman, 2016, 20 p. 14€50
Initialement paru chez Autrement, sous le nom d’auteur de Princesse Camcam, ce livre d’activité propose une découverte des animaux de la campagne à partir de l’exploration d’un jardin. Les illustrations sont luxuriantes, à la fois réalistes et enchanteresses. L’album est cartonné, on y ouvre des fenêtres, une cinquantaine de volets en tout, pour rechercher les animaux dissimulés. Bien que classique, dans sa facture de livre d’activité documentaire, Promenade au jardin est tout à la fois un régal pour les yeux des enfants et une mine de découverte pour les petits malgré une fin anthropomorphique qui nuit à l’aspect documentaire.
C.U.r., La Ballade du petit chien, illustrations Eric Dodon, Dadoclem, 2015, 44 p. 13€
Le texte est écrit par une lycéenne dont c’est le premier album. Il repose entièrement sur l’assonance des noms et des métiers, dans un village où les maisons annoncent la profession du propriétaire. Ainsi, le héros de l’histoire, Monsieur Bellenote est-il musicien car il soigne par la musique. Le lectorat grâce au QR code de la dernière page pourra écouter des morceaux de Chopin, Beethowen et Django. On entre ainsi dans un monde féerique situé au cœur de notre société. Le ton est doux, parfois quasi mélancolique, à l’image du docteur, qui perd son chien et, avec lui, l’amitié qui soutient son activité d’arthérapeute. Sombre période où fuit sa clientèle. Django, Beethowen sont convoqués par les rêves fous de celui qui va retrouver son chien, son art ; et l’album sa joie de conter. Car l’album est un album euphorique, que sert en ce sens les peintures et dessins comics de Dodon. On se retrouve, parfois, dans une ambiance proche de celle des peintures de Chagall où l’imaginaire et le réel se mêlent.

Philippe Geneste

13/08/2017

un conte en boucle

Naumann-Villemin Christine, Il était trois fois Boucle d’Or et les trois ours, illustrations de Laurent Simon, Nathan, 2017, 64 p. 14€90
Barbara Pillot, qui présente le conte traditionnel en postface de cet ouvrage de grand format, rappelle, qu’au départ, en 1837, le récit raconté les pérégrinations d’une renarde ou mégère (vixen en anglais) qui pénétrait chez trois ours en vue de les dépouiller de leurs biens. La vieille femme devient petite fille en 1881 et prend le nom de Boucle d’Or. Le conte appartient à ce type de récit, comme Le Petit Chaperon rouge, Alice au pays des merveilles etc., où une jeune fille franchit les interdits, désobéit pour connaître le monde, les autres, pour entrer en contact avec la vie plus ample qui l’entoure. Ceci n’est pas sans danger. Dans Boucle d’or, ce dernier a pour figure majeure la fuite jusqu’à ce que l’héroïne soit « à la fin de l’histoire dans la même errance qu’à son arrivée ». Barbara Pillot montre enfin comment au fil du vingtième siècle Boucle d’Or humanise les ours et se structure sur le schéma de la famille.
L’album propose trois variantes inventées par Christine Naumann-Villemin du même conte, perpétuant ainsi le geste traditionnel des conteurs à travers les siècles. Dans Bouclette, elle refait vivre la vixen originelle mais sous la forme d’un caniche ; dans Bouclinouk, l’héroïne est au pays des Inuits ; dans Boucle Doc, elle renverse les rôles et ce sont les ours qui envahissent la maison de l’héroïne qui les dompte par des comportements hygiénistes. L’album au final devient un exercice de style et la postface a raison d’inviter le lecteur à placer Boucle d’Or dans de nouveaux contextes pour voir comment elle se comporterait… Une lecture à suivre en quelque sorte…
Celli Rose, Boucle d’or et les trois ours, illustré par Charlotte Gastaut, Père Castor, 2013, 32 p. 13€50
L’interprétation de Celly rapproche ce conte de celui du Petit chaperon rouge. Gastaut, avec la magnificence de sa peinture s’engouffre dans ce rapprochement pour livrer une éblouissante suite illustrative. Celly fait du conte un conte moral sur le partage et l’hospitalité dont les ours seraient les vecteurs, notamment le petit ours, c’est-à-dire les générations à venir. Gastaut traduit cela par le tracé d’un chemin qui ramène Boucle d’or chez elle où l’attend l’ombre de sa mère, au lointain. Le choix des gros plans sur les ours souligne la désespérance des animaux devant l’intrusion de la petite fille dans leur foyer. Le texte choisit la réduplication des réactions, soit une multiplication vocale, par trois, des paroles d’indignation. A l’inverse, Boucle d’or ne parle pas, elle pense… une conscience fait son chemin. Boucle d’or n’est vue qu’en plan moyen, porteuse par conséquent de la liberté du mouvement qui sied à la morale finale.
Boucle d’or et les trois ours, Milan, 2016, 16 p. 4€90 ; Les trois petits cochons, Milan, 2016, 16 p. 4€90 ; Blanche Neige et les sept nains, Milan, 2016, 16 p. 4€90 ;  Le petit chaperon rouge, Milan, 2016, 16 p. 4€90
Ces livres d’activité permettent de revenir sur les contes. Ils comportent 30 autocollants à placer durant l’histoire dans les pages. Cela peut être l’occasion de jouer avec l’histoire, même si le texte est évidemment une adaptation fort tronquée.
Fronsacq Anne, Les Trois Boucs bougons, illustré par Nathalie Ragondet, Père Castor Flammarion, 2012, 24 p. 4€40
Ce conte norvégien adapté par Fronsacq rappellera au lecteur le conte Boucle d’or et les trois ours, bien sûr, mais il n’a rien à voir. Les trois héros se battent contre un troll maléfique qu’ils abuseront grâce à leur ruse. Les illustrations sont lugubres quand elles évoquent le troll, tendres quand elles évoquent les boucs. C’est un conte sur la peur, l’angoisse et le cauchemar, associés au thème de la dévoration.
Giraud Robert, Contes de Russie, illustrations de Sébastien Pelon, Père Castor – Flammarion, 2013, 64 p. 13€50
Robert Giraud est traducteur du russe, auteur et amoureux de la littérature populaire d’Arménie et de Russie. Ce volume rassemble douze contes de la tradition russe. Le format d’album sied aux magnifiques illustrations réalisées avec intelligence narrative par Sébastien Pelon. Le lecteur avisé y retrouvera en des versions modifiées, Peau d’Âne, Cendrillon, Boucle d’or etc. Très rigoureusement écrits, les textes sont de vrais morceaux de littérature. Si les récits animaliers abondent, certains surprennent par le décalage qu’ils provoquent par rapport aux attentes que nous pourrions avoir, comme par exemple ce conte de Sibérie intitulé Le fils qui sauva son père. Il ne s’agit certes pas de traductions mais bien de créations d’après les traditions du Caucase de Sibérie ou de Russie. Les thématiques de la méchanceté, de la magie, de la ruse -la plus abondamment présente avec celle de l’entraide-, la thématique de la sagesse, de la sottise, de l’amour filial, de l’amitié, de l’agriculture, de la chasse, du courage, de la désobéissance traversent ce beau recueil.

Philippe Geneste

06/08/2017

à saute-mouton

Coli Davide, Crotte ! ou comment les pigeons ont disparu et ont été remplacés par des aigles, illustrations de Christine Roussey, Nathan, 2016, 32 p. 10€
La problématique posée est de l’ordre de l’hygiénisme et donc de l’ordre urbain : comment se débarrasser des crottes de pigeons ? La réponse va se déplier, double page après double page, chaque solution entraînant de nouveaux inconvénients jusqu’à ce que des aigles, métaphores d’un pouvoir dictatorial, règnent en maître. C’est donc une figure de style, celle de l’enchaînement causatif des événements qui est mobilisée pour créer la dynamique du récit. La conséquence en est l’humour allié au dessin crayonné, faussement naïf, quelque peu foisonnant de Christine Roussey. Davide Coli signe, ici, une satire de la société par l’absurde et le grotesque noués à un rythme narratif qui provoque le rire.

Charlot Benoît, Cacanimaux, Casterman, 2017, 16 pages, 12€90
Cet imagier qui prend une petite allure de documentaire avec clins d’œil à des contes et à des représentations sociales figés des animaux, est un petit délice d’humour qui se clôt avec une tirette en dernière page pour tirer la chasse d’eau, rabattre la cuvette, dérouler le papier…

Figueras Emmanuelle, Le Dico des animaux crados, illustrations de Gaël Beullier, Milan, 2016, 20 pages en languettes, 12€90
La littérature de jeunesse est sans aucun doute un réservoir intéressant d’ouvrages ayant trait au thème de la scatologie. Tous les livres l’abordent avec humour et rire, jamais avec un sérieux qui refreinerait l’élan lecteur. Au fil des ans, une bibliothèque des plus variées s’est constituée chez tous les éditeurs. Depuis le livre pour bébé au livre pour préadolescent, depuis la fiction jusqu’au documentaire, les volumes s’empilent sans trop de redondance contrairement à bien d’autres domaines. Le Dico des animaux crados dit par son titre même que l’humour va primer ici avec des illustrations désopilantes quoique précises à leur manière. Car, en fait, l’ouvrage est une somme particulièrement riche et bien pensée par l’auteure et l’illustrateur. Il y a en tout quatre-vingt-dix entrées qui renvoient soit à un animal soit à une manifestation de ce qui est dégoûtant dans les mœurs d’un animal ou d’une espèce.
Et on finit avec bébé, des pieds crados, le nez qui coule, la bouche qui pue, la tête à croûtes, les oreilles à caca, les fesses qui pètent, n’en jetez plus la couche est pleine… Mais ceci n’est qu’une annexe de ce cacatalogue du parfait scatologue enfantin. Un régal… si on ose dire…

Kimura Ken, 999 Têtards, illustrateur Yasunari Murakami, Casterman, 2016, 32 p., 14€95
Voici un album qui épouse la logique du road movie naturaliste. On suit les péripéties des petits de deux grenouilles, depuis leurs naissances jusqu’à leur installation en une nouvelle mare. C’est d’abord l’album humoristique de ces improbables petits êtres soumis aux convoitises de prédateurs multiples. Et puis, c’est un peu plus que cela. Au bénéfice de l’anthropocentrisme de l’album, c’est une réflexion sur l’itinérance et la migration que proposent les deux auteurs. A l’instar des multiplications des points de vue de Murakami, le récit de formation des petits est récit de formation pour le tout jeune lectorat. Qu’est-ce que vivre chez soi ? Qu’est-ce que c’est, chez soi ? Il faut prendre de la hauteur nous dit l’album afin de comprendre le monde. L’humain peut le faire, l’animal est condamné à le subir. Un album autant profond que drôle et donc ouvert à toutes les lectures qui s’y inviteraient.

Clément Claire, Rebelle au bois charmant, illustrations de Karine Bernadou, Milan, 2016, 32 p. 9€90
Voici un récit consacré à l’amour de la solitude, au refus du mariage, à l’apologie de la liberté de vivre hors la norme du couple. Sympathique et jouant de la laideur comme arme de dissuasion massive contre la conformité, le récit prend de la consistance lorsque l’héroïne rencontre un héros lui aussi en refus de conformité sociale. Les deux êtres vont nouer leur chemin, mais en gardant toute leur liberté. Un album intéressant, même s’il ne réussit pas à penser la liberté comme un acte compris dans l’espace de la socialisation coopérative.

Gravel, Elise, Je Veux un monstre, Nathan, 2016, 38 p. 10€
Un appartement transformé en monstrerie, tous les enfants, de 3 à 7 ans, s’y précipitent. Le fond des pages ressemble à celles d’un cahier d’écolier. Y sont éparpillés des monstres divers désignés de néologismes fantasques avec une petite description physique et comportementale. Ensuite, bien sûr, c’est le déchaînement de la monstrerie et on rit, on rit. L’héroïne enfant fait alors le dur apprentissage de l’éducation. Un album ébouriffé plébiscité par la commission lisez jeunesse.

Montardre Hélène, Les monstres de l’Odyssée, Nathan, 2016, 64 p. M1
Cyclopes, géants, sirènes, nymphe sont ramenés de la mythologie grecque par Hélène Montardre afin de livrer une histoire qui les dépasse mais de leur point de vue propre. C’est un travail instruit, adapté aux enfants de 10/12 ans et qui a pour visée une transmission culturelle.

Philippe Geneste