Mastoros Dimitri & Wouters
Nicolas, EζάqxεĮa L’Orange
amère, un récit de Dimitros
Mastoros & Nicolas Wouters. Dessin de Dimitrios Mastoros, Futuropolis,
2016, 200 p. 24€
Portrait d’une Grèce en révolte,
dessins sombres et expressionnistes qui tracent un regard radical et lucide.
L’économie générale est en berne, les commerces en ruine, à l’image du café
tenu par l’oncle et la tante de Nikos, le héros. On se trouve dans le quartier
d’autonome d’exarcheia, autour de la
place du même nom, où c’est la population du quartier qui régit sa vie propre. Exarcheia est un foyer connu de
l’anarchisme grec. La bande dessinée prend appui sur le mouvement d’occupation
permanente des places déclenché par la « crise de la dette » fin mai 2011 (1)
Il plane un enthousiasme de
résistance et de vie à mener. Mais il règne aussi un sentiment général de
défaitisme où passe l’itinéraire de junkys tandis qu’une une pauvreté endémique
imprègne l’atmosphère de l’univers décrit. Bien que jamais nommée, la troïka
(Commission européenne, FMI -fonds monétaire international- et la BCE -banque centrale
européenne) est là. La fin, avec la mort du chien fétiche des manifestants, à
la suite d’une attaque par les forces de police, est emblématique de la
dépossession de la population du quartier de son action
Le héros, étudiant, est là de
passage, pour voir un oncle et une tante. Quand l’oncle fait un AVC, il décide
de rester un peu plus pour aider sa tante et parce que le cousin, Tzibis, tente
de l’impliquer dans l’organisation d’autonomie du quartier en tant que
graffitiste.
On assiste ainsi à la vente
directe de produits agricoles, à l’organisation de fêtes, à une libération de
l’art, mais on sent la menace d’une reprise en main par la municipalité. Des
travailleurs clandestins sont aussi venus se réfugier là, sans qu’une intégration
à la dynamique de solidarité réussisse pleinement. La démocratie d’action
directe qui prévaut est une lente construction. Et on sent les militants et
militantes, œuvrant à son développement, manquer du temps nécessaire pour
l’appropriation collective de la gestion de la place, pour la prise en compte
de l’ensemble des questions, économiques, sociales, et des vies individuelles.
Enfin, à côté de la spontanéité et du contrôle autonome des activités de la
place et du quartier, perdurent des trafics d’ordre mafieux, qui n’ont rien à
voir avec les idéaux à l’origine de l’expérience d’exarcheïa et qui l’affaiblissent. Finalement, Nikos, ne parie pas
sur l’engagement. Après un bout de chemin avec Tzibis, il va poursuivre sa
route de vacances.
Cette fin est à lire en miroir de
la répression qui clôt la dernière initiative d’exarcheïa. La question posée est celle que porte Tsibis : même
face à l’impossible probable, lutter reste la seule option pour les gens du
peuple. Mais l’individualisme dont Nikos reste porteur, contrevient à ce choix,
sans que pour autant la B.D.
n’appose un quelconque jugement moral.
(1) Même si dès 2008, des
assemblées populaires existaient dans la périphérie d’Athènes, le mouvement
démarra en 2010, il se radicalisa à partir de fin mai 2011. L’occupation la
plus connue dans les médias fut celle de la place centrale d’Athènes, Syntagma
qui dura deux mois pleins ; voir Echanges n°150 hiver 2014/2015, p.13 et 15
Lanzidei
Graziano et Massimiliano, Canal Mussolini, d’après le roman
d’Antonio Pennachi, traduction de l’italien Nathalie Bauer, Steinkis, 2017,
200 p. 20€
Le roman de Pennachi a été salué
lors de sa sortie par plusieurs prix. Il s’agit d’une saga familiale, témoin des
mouvements contradictoires qui secouent l’Italie du début du XXème
siècle. D’abord socialiste, le clan des Peruzzi, des métayers en Vénétie, va
suivre la dérive fasciste accédant alors à la propriété dans les marais
Pontins, au sud de Rome. Certains enfants seront enrôlés dans les guerres
coloniales, en Lybie notamment, puis dans la seconde guerre mondiale. La terre,
elle, n’attend pas et les membres du clan se soudent pour vivre de
l’agriculture et de leur exploitation. La bande dessinée rend parfaitement
l’ambiance du roman qui a choisi de suivre des gens du peuple embarqués du côté
des chemises brunes afin de soulever les contradictions entre les luttes
politiques qui sont des luttes de pouvoir et le combat pour la survie et contre
les propriétaires, les créanciers et les banquiers. Le récit sans concession
plonge le lecteur dans les tiraillements moraux et sociaux autant que
psychologiques que les points de vue panoramiques empêchent de saisir alors
qu’ils forment l’étoffe même de l’histoire.
Philippe Geneste