Pirotte Jean-Claude, Il y a, illustrations de Didier
Cros, MØtus, 2016, non
paginé, 10€40
dès 10 ans
Chroniqueur du « Journal d'un poète » dans le
mensuel Lire, romancier, nouvelliste, poète, Jean Claude Pirotte (1939
– 2014) a été salué par de nombreux prix, notamment, en 2012, le prix Goncourt
de la Poésie
pour l'ensemble de son œuvre et le prix de l’académie française.
Il y
a rassemble, trente-trois quatrains évoquant des sujets divers :
la lecture (« Quand je lisais
Raymond Queneau/ j’étais heureux, tout était beau »), les maux de nos
sociétés, la violence. Internet apparaît, égratigné car trop porteur de vie
pressée, de vie gorgée d’informations qui outrepassent la commune mesure de
l’homme, c’est-à-dire qui l’empêche de tracer une perspective : la seule
restante étant celle du maniement addictif à un outil.
Le recueil parle
de la terre, de voyage, c’est-à-dire, au fond d’une aventure d’espace que le
tout petit parcourt pour se construire en humaine personne :
« j’aurai franchi les paysages
comme un oiseau dans ses voyages
j’aurai connu la terre entière
et j’aurai vu toutes les mers. »
Etonnant dernier poème d’une œuvre ultime !
Ce qui revient comme un motif, ce sont les bêtes. Elles sont observés au
plus près, présentes à chaque détour de page ou presque. L’œuvre picturale de
Didier Cros, qui accompagne le recueil, insiste sur le motif. Les images
glissent régulièrement du réalisme au fantastique, prises toutefois dans un
flou, tendant à introduire le thème d’un réalisme magique. Quand on sait
l’intérêt de Pirotte pour Dhôtel on se dit qu’il y a là une congruence
heureuse. Didier Cros est un peintre sur qui Jean-Claude Pirotte travaillait
depuis dix ans nous dit l’éditeur, en toute complicité d’univers si on en juge
par Il
y a.
Dans
l’émiettement du monde, le poète largue des amarres
et sa pensée vogue de détails saisis en détails scrutés. Et pour chacun, c’est
le monde enfermé dedans que le poème fait ressortir ; il le met à jour,
pour illuminer la compréhension chez le lecteur. Car cette poésie a le souci
permanent de la clarté par la simplicité. Mais une simplicité non édulcorée en
mièvrerie. Les poèmes peuvent être durs, comme le sont les peintures en noir,
blanc et gris de Didier Cros. C’est que la poésie n’enjolive pas, elle ne
montre pas, elle révèle par les mots mais aussi, ici, par le geste du peintre.
Les voyelles, les consonnes, les lettres, prennent les choses dans leurs rets
et les portent en représentations mentales, les peuplant nouvellement de la
matière du langage. Le sens travaille alors. Ici, c’est un bestiaire fantastique
et pourtant souvent du quotidien qui accompagne l’évocation du monde. Là c’est
un bestiaire en clin d’œil qui sort d’une comptine :
« il y a quoi dans ta sacoche
il y a la mouche du coche
cette mouche qui fait donc quoi
elle rend le cocher narquois ».
Les quatrains, en octosyllabes, sont majoritairement de
rimes plates. On a ainsi deux vers qui s’accordent et font face à deux autres.
Nous voyons une mise en abyme du dialogue, ce dialogue que Jean-Claude Pirotte
noue avec les enfants. Et dans la relation tendue entre le créateur et ses
lecteurs, le réel n’est pas reproduit, Frédéric Chef dit même qu’il est
« esquivé » (1). Esquivé,
oui, mais affronté toutefois grâce au verbe poétique. Pour ce faire, il faut
passer par le langage, non pas lui faire confiance, mais œuvrer en confiance
avec lui pour dénaturer ce qu’on croyait immuablement établi. Là encore, le
rôle des peintures est essentiel, vraiment partie prenante de l’œuvre poétique.
Pour saisir le réel, le recueil pointe la nécessité de
savoir enrichir l’espace et donc, s’adonner à sa construction. Le titre est en
lui-même un manifeste : « Il y a ». Le sujet, la personne,
l’enfant, existe dans l’espace et en trouvant place. Cet espace n’est pas
seulement l’espace physique. Il est aussi l’espace mental qu’il s’agit
d’élargir d’étendre, de construire chaque jour un peu plus, mot à mot, en
quelque sorte. L’espace poétique ne relève pas de la mesure, ce pourquoi,
peut-être, la poésie est si peu appréciée par nos contemporains. En partant du
réel, en l’amplifiant par notre compréhension et notre évocation, on le
transforme et on se transforme.
L’humour, si présent dans le recueil, comme d’ailleurs
dans beaucoup de poésies prisées par les enfants, est la marque rhétorique de
cette amplification. En poésie, on cherche les causes par les effets. Le réel
se donne à voir, mais encore faut-il le voir et les mots servent à cela.
Jean-Claude Pirotte lance l’enfant dans la quête du monde avec pour outil le
mot qui décèle les choses inouïes, inouïes parce qu’encore jamais entrevues. Et
c’est à cette aune qu’on atteint l’innocence que débusque aussi l’humour :
« J’ai pataugé dans le ruisseau
Pour voir nager quelques gardons
Et je m’étais muni d’un seau
Je leur demande bien pardon »
La poésie aimait dire Pirotte est « une passion
simple ». Ce recueil en est une preuve.
Ce qui frappe dans ces poésies, c’est le style
déclaratif, qui repousse l’indécision mais accueille la passion, la blessure
sourde. Il y a n’est pas ce qui reste de l’enfance mais ce qu’elle
appelle, car elle frémit au tréfonds des mots et des rythmes. Bien qu’écrite en
direction des enfants, le recueil ne s’alourdit pas du passé, il est
hymne du présent. Evoque-t-il l’école de son enfance, le poète ne se perdra pas
dans la nostalgie mais parlera au jeune lectorat au présent grâce à la chute du
quatrième vers :
« je me souviens de mon école
le maître portait un faux col
on avait soif on avait faim
mais on se tenait par la main »
Cette enfance du
recueil est donc une enfance à distance, une conscience d’enfance dont le poète
veut inviter le lecteur à se pourvoir. Quant à l’avenir,
il est dans l’ailleurs que l’on peut aller chercher avec les mots.
Philippe
Geneste
(1) Frédéric Chef, chronique de deux ouvrages de Jean-Claude
Pirotte dans Diérèse, poésie et littérature, n°67, printemps 2016,
pp.302-304