Verne, Jules, L’Île
mystérieuse, adaptation de Michel Honaker,
Flammarion jeunesse, 2014, 288 p. 6€10
Intrigué
par la volonté éditoriale d’adapter ce grand roman de Jules Verne, ce roman
phare de la collection Hetzel à la fin du XIXème siècle créée explicitement
pour les enfants, nous nous sommes entretenus avec Michel Honaker, auteur
lui-même de récits de science fiction et de fantastique pour la jeunesse :
-Qu'est-ce qui vous a guidé pour
l'adaptation du roman de Jules Vernes ?
Michel Honaker : L'adaptation des deux romans de
Jules Verne était un projet que je caressais depuis plus de trente ans car ma
vocation d'écrivain leur doit beaucoup. Mon grand-père me les a offerts
quand j'étais gamin ce qui pour moi signifie un double hommage.
-Qu'est-ce que vous avez choisi d'enlever et
pourquoi ?
Michel Honaker : Quant à ce qu'il convenait d'amender
(plutôt que de retirer) avec toute la révérence que je dois à ce grand
devancier, découvreur de la SF,
c'étaient d'interminables descriptions et ellipses propres à décourager le
jeune lecteur du vingt et unième siècle. De plus, la psychologie des
personnages est terriblement sommaire, et quelques touches d'humanité, ici ou
là, m'ont paru plus que nécessaires pour leur rendre une sorte de modernité.
Dans 20.000
lieues sous les mers [roman aussi adapté par Michel Honaker], par
exemple, j'ai accentué le duel feutré entre Nemo et Aronnax, le second
n'oubliant jamais qu'il est en face d'un geôlier, si fascinant soit-il.
Chez Verne, on est à la limite du bavardage mondain... C'est pourquoi j'ai
également raccourci et réécrit quantité de dialogues dans le sens d'une plus
grande crédibilité.
Entretien
réalisé le 12/02/2014
Pipet, Patrick, Comtesse
de Ségur, les mystères de Sophie. Les
contenus insoupçonnés d’une œuvre incomprise, L’Harmattan, 2007,
288 p. 25€
Nous
profitons de la sortie du film Les malheurs de Sophie de Christophe
Honoré, pour revenir sur une publication intéressante de Patrick Pipet. Le
propos, dans un premier temps, surprend : la comtesse de Ségur serait
moins conservatrice que ne le laisserait supposer l’interprétation habituelle
de ses œuvres. On peut ne pas être convaincu par le retournement interprétatif
opéré par Patrick Pipet, qui en fait une œuvre « subversive » (p.277) mais
en revanche, son ouvrage est une mine de réflexion et pour comprendre les
ressorts de la littérature destinée ouvertement à la jeunesse. Il écrit, ainsi,
que cette œuvre « offre aux enfants
depuis plus d’un siècle une régression idyllique magistrale et leur fait
espérer un avenir meilleur grâce à de magiques étayages » (p.280). Où en revanche le livre persuade,
c’est sur le terrain propre de l’auteure qui, au cours de l’amplification de
son œuvre, a pris son autonomie de femme dans un milieu qui ne lui laissait
guère d’espace. Des pans de son œuvre s’en éclairent, effectivement,
différemment. Patrick Pipet est aussi magistral quand il montre comment la Comtesse de Ségur
« questionne brutalement le mythe de
l’amour parental » (p.12). On
sort de cette lecture en maîtrisant mieux les contradictions qui suturent
l’œuvre de la Comtesse
de Ségur : approche du modernisme mais enfermement dans l’arriération
religieuse, aspiration à l’éducation des filles et stéréotypie sociale, romans
de libération des enfants et carcan moral, dénonciation de la maltraitance mais
conservatisme idéologique.
Les
classiques en version audiophonique
Prévert
Jacques, Contes pour enfants pas sages, lu par
Dominique Pinon, Gallimard
jeunesse, collection écoutez, lire, 2012, 1 CD de 40 minutes, 12€90
C’est peut être le recueil le
plus connu en littérature de jeunesse de Prévert (1900-1977). De nombreux
poèmes sont connus mais pas leur recueil, alors que ce titre court dans toutes
les anthologies ou presque. Les enfants ont tous, un jour ou l’autre, rencontré
un des contre-contes qui composent le livre. La fantaisie, qui sied à
l’enfance, n’est pas mise à contribution pour enniaiser le monde, mais au
contraire pour soulever l’énergie de sa transformation chez le plus jeune
lecteur.
Il est intéressant de remarquer
que Prévert conserve la morale ou plutôt l’idée de la morale de fin de conte
pour chacune de ses histoires. Serait-ce le trait qui soulignerait
l’appartenance de l’œuvre à la littérature destinée à la jeunesse ?
Remarquablement
lu par Dominique Pinon, les
textes qui composent l’ouvrage prennent
toute leur vie, montrant combien Prévert était à l’écoute de la langue orale.
Cendrars,
Blaise, Petits Contes nègres pour les enfants des blancs, lu par Lydia
Evandé et Meyong Bekate, Gallimard jeunesse, 1 CD – 1 heure, 12€90
« Toute
vie n’est qu’un poème, un mouvement. Je ne suis qu’un mot, un verbe, une
profondeur. » aimait dire Cendrars (1887-1961) à la fin de sa vie. Les Petits Contes nègres pour les enfants des blancs,
sont publiés en 1928. De lui, qui s’illustre à cette époque par ses reportages
lyriques, on peut comprendre qu’il puise dans le genre du conte une veine pour
s’adresser aux enfants. Il situe ces récits en Afrique, de manière fantaisiste,
mais en connaisseur, lui l’auteur d’une Anthologie nègre appréciée par les
surréalistes. Les récits du recueil sont sculptés avec un rythme que permet de
rendre au mieux les excellentes dictions de Lydia Evandé et Meyong Bekate.
C’est par son approche de la poésie, nous semble –t-il, que Cendrars a pu être
tenté de se tourner vers les enfants. En effet, le récit pour l’enfance permet
de laisser libre cours à l’imaginaire. Cendrars en profite pour poser des
situations improbables ou impossibles et de les faire vivre par la seule force
de la littérature. IL y a, ici, une mise en pratique de son art poétique
toujours en quête de briser les stéréotypes.
Gripari
Pierre, Les Contes de la rue Broca, lu par Pierre Gripari et François
Morel, Gallimard jeunesse, 1 CD MP3 – 4 heures, 15€
Pierre Gripari (1925-1990) a mis
les ogres, sirènes, sorcières géants dans le panier d’une succulente salade
littéraire dont il détient la recette jusqu’outre-tombe. Le ton malicieux qu’il
emploie dans la lecture et la complicité d’humoriste de François Morel qui
s’est approprié le registre littéraire humoristico-fantastique de l’auteur,
font merveille dans ce disque compact où l’enfant peut suivre les facéties des
héros du recueil le plus connu de Gripari. C’est l’intégrale que propose le CD.
Les
Contes
de la rue Broca dont la première édition à La Table Ronde, daté de
1967, n’étaient pas initialement destinés à la jeunesse, en tout cas, pas
éditorialement (1) car dans la préface, Gripari affirme son projet à destination
des jeunes lecteurs ;
(1) Voir Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la
littérature de jeunesse, Didier, 2009, 239 p. – p.16
Philippe Geneste