Anachroniques

27/11/2016

2016, année du centenaire de la naissance de Roald Dahl

Dahl Roald, Charlie et la chocolaterie, lu par Claude Villers et 4 comédiens,  Gallimard jeunesse, 2016, 1CD / mp3, 3h. 14€
Dahl Roald, LeBGG. Le Bon Gros Géant, traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, 2016, 218 p. 14€90
Dahl Roald, Moi Boy et plus encore traduit de l’anglais par Janine Hérisson et Jean-François Ménard, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, 2016, 240 p. 14€90
Dahl Roald, Matilda traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, 2016, 120 p. cat.4€90
Dahl Roald, La Potion magique de Georges Bouillon, traduit de l’anglais par Marie-Raymond Farré, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, folio junior, 2016, 121 p. cat.4
Dahl Roald, La Poudre à boutons et autres secrets mirobolants avec un chapitre inédit de Charlie et la Chocolaterie, traduit de l’anglais par Marie Leymarie, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, folio junior, 2016, 115 p. cat.42
Dahl Roald, Le Doigt magique, traduit de l’anglais par Marie Saint-Dizier et Raymond Farré, illustré par Quentin Blake, Gallimard jeunesse, folio cadet, 2016, 66 p. cat.7
Roald Dahl, le géant de la littérature jeunesse, Lire-Gallimard jeunesse, 2016, 115 p. 16€50
Il y a cent années, naissait Roald Dahl (13/09/1916-1990) qui s’est raconté dans Moi Boy. Son œuvre est multiple, changeante tout en conservant des fils directeurs comme la nourriture (pensons au rôle des recettes de cuisine dans La Poudre à boutons et autres secrets mirobolants), la drôlerie, le voyage, les situations cocasses, enfin l’insolite plus que le fantastique. Roald Dahl, le géant de la littérature jeunesse présente une biographie, un catalogue raisonné de l’œuvre, de nombreux témoignages d’écrivains contemporains sur Dahl ou leur rapport à son œuvre.
C’est avec James et la grosse pêche (1961) que Dahl voit s’ouvrir le chemin de la littérature, car l’ouvrage est un gros succès de librairie. Des invariants de l’œuvre s’y rencontrent : situations insolites, propos bâtis sur une argumentation, accueil empathique de l’univers enfantin et beaucoup d’humour, souvent noir. Matilda, récit paru en 1988, voit Dahl user de la description dans le but de camper un personnage repoussant. Le livre est devenu un classique parmi les classiques pour les enfants de fin d’école primaire, au même titre que Charlie et la Chocolaterie pour les préadolescents. C’est une satire sociale qui vise le conservatisme anglo-saxon avec son déterminisme social transposant la lutte pour l’existence du monde animal au monde humain. Ce livre porte une grande espérance, celle que la volonté de domination qui gouverne les rapports humains dans la société adulte n’est pas naturelle. Le récit tend à montrer que l’enfance a d’autres formes de relations sociales à explorer, qu’elle peut, seule, en tenter l’expérience à condition de se révolter contre la conformité de l’univers des adultes. Il y a une charge vraiment subversive de Dahl : débrider les enfants pour qu’ils inventent un nouveau monde. De ce dernier, évidemment, il ne dit rien car, lui, n’est pas un enfant. C’est donc un passeur d’autorisation spéciale à rompre avec le réel oppressant.
S’il inclut les sorcières chères aux contes, il en fait des personnages, comme il va aller interroger la figure des géants dans Le BGG. Cette déterritorialisation des figures emblématiques classiques et traditionnelles, s’accompagne, chez Dahl, d’une recherche lexicale où abondent les néologismes. Son traducteur essentiel, Jean-François Ménard, dit avoir établi « un lexique avec tous les mots que Dahl a inventés » (1) pour traduire Le BGG. Ce vocabulaire poétique de la dérision, c’est le fameux Gobblefink.
Parler de Dahl est incomplet si on ne dit rien de Quentin Blake qui, à partir des années mille neuf cent soixante-dix, devient son illustrateur attitré. A cette époque, Blake était déjà connu pour ses illustrations d’œuvres destinées à l’enfance. C’est son éditeur, devenu éditeur de Dahl, qui a proposé à Roald Dahl « d’écrire un texte pour un album illustré, ce qu’il n’avait encore jamais fait » (2). L’écrivain et le dessinateur ont alors travaillé ensemble, se sont liés d’une amitié qui n’a jamais été prise en défaut. Le trait d’encre de Blake et son usage de l’aquarelle silhouettent les personnages et les paysages plus qu’ils ne les représentent. Ils s’harmonisent ainsi avec la liberté floutée de l’univers construit par l’écrivain. Dahl use de la caricature et c’est là que le rencontre avec Blake est la plus évidente. Dahl exagère les traits humains pour installer l’humour au poste de commande de son œuvre.
Or, cet humour permet de rendre crédible les aventures abrancadabrantesques des personnages, comme, par exemple, dans La Potion magique de Georges Bouillon (1981). Entre autobiographie (Escadrille 80, Moi, Boy), conte de fée (Matilda), récit de l’insolite (James et la grosse pêche, La Poudre à boutons et autres secrets mirobolants avec un chapitre inédit de Charlie et la Chocolaterie), Roald Dahl est un écrivain de mésaventures humoristiques, un créateur de contes cruels à mourir de rire, un encenseur des défauts comme preuve d’humanité de la personne, un auteur dont l’œuvre pour la jeunesse parle aussi, souvent distinctement, aux adultes.
Philippe Geneste
(1) Dans son entretien avec Estelle Lenartowicz, dans Roald Dahl, le géant de la littérature jeunesse (…) p.13

(2) Quentin Blake dans son entretien avec Julien Bisson dans Roald Dahl, le géant de la littérature jeunesse (…) p.38. Le livre en question est L’énorme crocodile publié en 1978.

21/11/2016

Du genre épistolaire en jeunesse

Pichard Alexandra, Cher Bill, Gallimard jeunesse Giboulées, 2014, 48 p. 14€50
Une fourmi et un poulpe qui correspondent, voilà qui sent l’histoire animalière. Fausse donne, le livre est une vraie correspondance, où l’autrice a cherché à recréer les mises en suspens que toute correspondance porte. Là, les deux interlocuteurs se prennent au jeu et apprennent chacun du monde de l’autre. La correspondance est alors une apologie de la différence. Mais le livre va plus loin. Les illustrations minimalistes d’Alexandra Pichard laissent toute leur place au texte pour que le jeune lectorat puisse construire la représentation des deux mondes en communication. Les clins d’œil à la situation des enfants contemporains abondent, évidemment, amenant le sourire autant qu’une morale que l’on pourrait formuler par plagiat : de la conversation naît la lumière, ou encore, de l’apprentissage du monde naît l’intérêt pour tous les mondes.
Pergaud, Louis, Lettres à Delphine (1907-1915), édition d’Eugène Chatot complétée par Bernard Piccoli. Notes par Eugène Chatot, Françoise Maury, Bernard Piccoli et Patrick Ramseyer, Le Mercure de France, 2016, 617 p. 9€80
L’auteur de récits animaliers, qui obtint le prix Goncourt en 1910 avec De Goupil à Margot, connu pour son roman réaliste La Guerre des boutons (1913) est l’auteur d’une abondante correspondance amoureuse avec Delphine Duboz, sa seconde épouse. La correspondance commence à partir de 1907, date à laquelle Pergaud quitte l’école de Landresse dans le Doubs où il était instituteur, et se poursuit jusqu’à sa mort dans la nuit du 7 au 8 avril 1915 à Marchéville lors d’une attaque dans la Meuse.
Cette édition reprend la réédition de 2014, ajutant comme celle-ci les lettres de Pergaud à ses amis et à quelques gens de lettres. Par rapport à celle de 2014, on appréciera la correction de la couverture qui donne à voir Pergaud (1882-1915). C’est une édition sinon complète en tout cas fort épaissie par rapport à la première parution de 1938, expurgée par son maître d’œuvre, Eugène Chatot.
L’ouvrage repose principalement sur les lettres envoyées à Delphine (celle-ci ayant détruit les siennes). Un amour passionné s’exprime dans ces lettres. En 1907, c’est celui d’un Pergaud qui va à Paris pour devenir écrivain et qui écrit à Delphine, qui le rejoindra peu après l’aidant dans cette voie. A cette époque, Pergaud est séparé de sa première femme, Marthe, institutrice comme lui ; ils divorceront en 1910. A partir de 1914, Pergaud part au front. Le soldat puis lieutenant lui écrira plus d’une lettre par jour. La présente édition permet de suivre la rhétorique amoureuse de la relation épistolaire, la puissance de l’écriture comme souffle de vie, palliation à l’absence, mais aussi forme d’arrangement de la représentation du réel par mesure affective de ce que pourrait ressentir l’être aimé.
Les lettres adressées aux autres destinataires permettent, elles, de mieux cerner la pensée politique de Pergaud.  Il écrit, par exemple, être parti à la guerre en tant qu’anti-militariste et que l’épreuve le confirme dans cette position. Pour autant, il est cocardier, exprime sa haine de l’Allemagne.
Les cinq cent dix pages qui couvrent la guerre donnent à lire le quotidien des tranchées, la vie au front, les souffrances, les espoirs, une multitude d’anecdotes qui en font un document utile pour le jeune lectorat.

Léon Christophe, Mon père n’est pas un héros. Fukushima, Oskar, collection court métrage, 2013, 45 p. 6€
Sous la forme d’une lettre au président de la Tokyo Electric Power Company, entreprise qui travaille à Fukushima Daiichi et où son père est ingénieur, le jeune Uemura Noriaki fait défiler les événements de Fukushima tel que les japonais en ont pris connaissance, c’est-à-dire par la télévision et les médias. L’enfant raconte comment, en allant sur internet, il récolte d’autres informations qui le renseignent sur le sort probable de son père, qui est resté travailler dans la centrale après l’accident. Par touches successives, du sein de l’angoisse d’un foyer sans nouvelle très fiable, à travers l’énervement qui s’empare d’Emiko la sœur de Noriaki parce qu’elle n’a plus le droit de sortir, c’est la quête d’une vérité qui aboutit à la mort du père que nous convie Christophe Léon. La chronologie qui sert de colonne vertébrale au texte en fait autant un documentaire qu’un récit. Le genre épistolaire choisi l’assimile à une adresse aux responsables économiques et politiques pour le respect des vies humaines et le devoir de vérité. L’ouvrage enseigne que celle-ci doit toujours être conquise, qu’elle n’est jamais donnée par ceux qui détiennent les pouvoirs tant énergétiques qu’administratifs et politiques.

Philippe Geneste

13/11/2016

Vies du peuple, vies de femme

Barbeau Philippe, Gousset Michel Javier, Courage Mademoiselle Louise ! Une jeune idéaliste nommée Louise Michel, oskar éditeur, 2013, 116 p. 9€95
Voici un récit très bien écrit, excellemment documenté, qui porte sur la première année d’institutrice de Louise Michel dans le village Audeloncourt en Haute-Marne où vit sa mère.
Louise a 22 ans. Elle vient d’obtenir le brevet de capacité à l’enseignement et revient pour soutenir sa mère vieillissante. Elle fait campagne pour ouvrir une école destinée aux filles, sachant que ce ne sera pas facile de convaincre les familles de fermiers et de journaliers. L’histoire nous montre la jeune institutrice en bute au clergé et à la réaction municipale dans une France rentrée depuis peu sous le joug de Napoléon III. Son école sera une école libre parce qu’elle refuse de prêter serment d’obédience à l’empereur. C’est la loi pour devenir fonctionnaire. Alors l’admiratrice de Victor Hugo, qui correspond avec le poète exilé, a refusé de devenir institutrice de l’école publique c’est-à-dire de l’Etat napoléonien. Républicaine, impertinente, elle n’intègre pas la prière à son enseignement, elle choisit librement les supports littéraires à étudier. Le roman nous décrit la préparation des classes, le déroulement des cours, les comportements des jeunes élèves, l’opinion des pères plus soumise au discours de l’ordre que celle des mères qui voient d’un bon œil, elles, leurs filles sortir de l’ignorance par l’instruction. Mais la réaction aura raison des efforts de Louise qui fera deux autres rentrées des classes avant de devoir arrêter, faute d’élèves. Elle partira, alors, à Paris, avec son amie, Julie Longchamp, avec qui elle occupera des postes de sous-maîtresses dans un externat. Mais c’est une autre histoire.

Maricourt Thierry, A Propos d’une vieille dame facétieuse nommée Astrid Lindgren, de Fifi Brindacier sa fille farfelue et de quelques autres fieffés farceurs…, éditions de L’Elan, 2014, 86 p. 16€
Qui ne connaît Fifi Brindacier, ce personnage ébouriffant, né en 1945, en tête d’une cohorte d’autres aux noms nordiques : Karlsson, Emil, Ronya, Moi et Britt-Marie, Kati ? Qui n’a lu ne serait-ce qu’une fois ces textes décapants de la suédoise Astrid Lindgren ? L’œuvre est là, régulièrement rééditée, preuve de son actualité. Thierry Maricourt, dont on connaît l’art de biographe, a décidé de la présenter aux enfants de 11 à 14 ans mais son livre est aussi un régal pour les adultes tant il est érudit tout en restant simple. Fin connaisseur de la littérature suédoise (1), Thierry Maricourt replace Astrid Lindgren dans son contexte historique. Il en ressort une œuvre joyeusement impertinente et volontairement féministe, profondément éprise d’égalité sociale. Mieux encore, l’auteur nous permet de comprendre que les grands auteurs de littérature destinée à la jeunesse reproduisent souvent un refus de grandir transcrit par la littérature : « Conserver toujours sur vous une bonne dose de ces gentils mini-mini cachets qui empêchent de “grondir” ».
Le livre se présente comme une autobiographie, écrite donc à la première personne. Le choix interroge mais c’est le dispositif choisi pour s’adresser au jeune lectorat. L’auteur épouse alors d’autant plus le style de Lindgren dont le premier roman, en partie autobiographique, Les Confidences de Britt-Marie est une parodie des romans pour jeunes filles sages. Astrid Lindgren ne craint pas la crudité des faits, comme le viol, à partir du moment où la voie littéraire décide d’éveiller les consciences contre les oppressions de toutes sortes. Sachant que le livre paraît en 1944, on saisit le courage éditorial de l’autrice (2). Un an plus tard, les éditions Raben & Sjörgren lui proposent le poste de « directrice de publication des livres pour enfants », poste qu’elle conservera jusqu’à sa retraite.
On suit ainsi, d’année en année, la parution des romans, les préoccupations sous-jacentes qui y président. Pour les adultes, c’est manière de renouer avec des lectures d’enfance, pour les jeunes lecteurs, c’est la découverte de héros et d’héroïnes hors du commun. Peu à peu, on voit se former une éthique littéraire qui nie la fatalité et développe l’art de la responsabilité engagée. La littérature se noue autour de la dénonciation des injustices, de la défense des animaux (3), de la cause féministe, de la cause pacifiste, antinucléaire, favorable à l’accueil des réfugiés (4)
Le choix de la première personne par Thierry Maricourt permet, aussi, de distiller tout au long de la biographie des remarques précieuses sur le travail d’écriture. Les jeux de mots, l’humour parfois cinglant parfois tendre, souvent noir mais puisé dans le quotidien des vies ordinaires. 
Philippe Geneste

(1) Voir son livre Voyage dans les lettres suédoises, L’élan, 222 p. 18€, Dictionnaire du roman policier nordique, encrage - Les Belles Lettres, 2010, 23€40 – (2) Lorsque l’éditeur Hachette traduit Fifi Brindacier en 1950, dans la Bibliothèque rose, il tronque le texte et le police ! La traduction du texte intégral ne sera faite qu’en 1995, comme en rappelle l’histoire Thierry Maricourt. – (3) On apprend ainsi, qu’en 1998, la loi sur la protection des gouvernement s’apprêtait à expulser des migrants cherchant refuge en Suède. 

06/11/2016

Le monde à travers sa mise en scène

Ahlfors, B, Bargum, J, Y a-t-il des tigres au Congo? , traduction du suédois par Ph Bouquet, Nantes, L’Élan, 1995, 32p 4€
Deux écrivains élaborent ensemble une pièce dont le thème est le sida. De leur identité on ne sait rien, les lettres A et B les désignent et, c’est ainsi qu’ils nomment aussi les personnages de leur pièce.
D’abord lointaine et exotique, l’histoire va transiter du Congo au milieu homosexuel occidental avant - les stéréotypes épuisés en quelque sorte - de se situer en Finlande entre les deux écrivains...en leurs corps mêmes. Ainsi fiction et réalité se mêlent-elles sur la scène autour de l’interrogation centrale : comment réagir à la séropositivité? Quelle attitude avoir avec ses proches ? Plusieurs scénarios sont choisis, autant de fuites qui n’évitent pas le point d’ultime identification : la mort.
Cette pièce de théâtre légère s’avère traiter de tragédie ; la mise en scène de la fiction y est mise en scène du social.
Annie Mas

Gauvin Sandrine et Gabrielle Sarah, Pinocchio d’après l’étrange rêve de monsieur Collodi, L’Harmattan, 2012, 98 p. 11€50
Outre le texte de la pièce de théâtre montée au Lucernaire, centre national d’art et d’essai, en 2012, l’ouvrage comporte un portfolio du spectacle et un dossier pédagogique ludique qui permet au jeune lectorat de revenir sur la lecture de la pièce. Les autrices ont choisi de respecter le ton humoristique de Collodi, de reprendre son art moqueur du langage enfantin volontiers amphigourique, et quelques uns des épisodes les plus connus du roman singulier de l’auteur italien. Dans un univers littéraire pour la jeunesse assez peu fréquenté, cette collection du Lucernaire chez L’Harmattan s’impose comme une source contemporaine d’appel à la jeunesse pour le texte théâtral. Indispensable dans tout centre de documentation et dans toute bibliothèque scolaire, le livre sera offert avec pertinence aux enfants dès 9ans.

Willerval, Les Mots-cailloux, L’Harmattan, 2016, 48 p. 9€
La pièce est le produit d’une résidence au sein d’une école élémentaire de Coulounieix-Chamier en Dordogne. Elle ne prend pas pour sujet le répertoire des injures. Si elle n’en fait aps état, ce n’est pas tant parce que celles-ci connaissent semble-t-il un certain tarissement créatif, mais parce que la pièce se donne comme une réflexion sur l’injure.
Trois personnages croisent leurs dialogues, une vieille dame, une maîtresse et un petit garçon plein de haine mais meurtri, au fond de lui. Les mot-cailloux sont ces mots qu’on lance à la figure d’autrui et qui font des ravages, parfois insoupçonnés. Pourquoi les prononce-t-on ? Quel est le plaisir tiré des paroles de mépris ou de blessures provoquées ?
La pièce prend au mot ces mots en explore les maux qu’ils causent. La fantaisie ou originalité est ici de supposer que les mots blessent aussi le monde, l’air qui nous entoure, bref, que les mots assombrissent le paysage et l’environnement des vies humaines. Cet aspect, moins convaincant que le premier reste intéressant avec des enfants sensibles encore au magico-phénoménisme et à l’animisme.
Conformément à sa visée, la pièce ne fait pas étalage de la richesse linguistique du vocabulaire des injures ni d’une quelconque typologie, elle scrute sa réception. L’insulte n’est pas anodine et la pièce fouille sa réception par l’insulté. La pièce de théâtre, Les Mots-cailloux, souligne l’expression de violence que l’insulte renferme, elle montre combien elle relève d’une préparation par l’insulteur et non d’un élan inconscient qui exclurait sa responsabilité. L’insulte humilie, salit, pour tracer des murs entre insulteur et insulté. Il ne faut jamais faire fi de l’insulte ni de l’injure qui se livre toujours, selon l’insulteur, comme sans raison, comme gratuite, ce qui est, au vrai, son sens étymologique. Il en va, évidemment, tout différemment si le point de vue est celui de l’injurié.

Rostand Edmond, Cyrano de Bergerac. Comédie héroïque en cinq actes en vers, illustrations de Rémi Courgeon, édition abrégée et carnet de lecture par Nathalie Rivière, Gallimard, coll. Folio junior, 2013, 287 p. 5€90
Grand classique des années collège, souvent étudié en classe de troisième, l’œuvre majeure de Rostand jouée pour la première fois en 1897 est donnée ici en une version abrégée. L’adaptatrice a respecté les alexandrins, le schéma des rimes suivis, la numérotation des scènes. C’est donc à un travail sérieux d’adaptation que nous avons à faire, pour présenter aux jeunes lecteurs cette pièce et la leur rendre pleinement accessible. Le carnet de lecture qui clôt l’ouvrage donne l’essentiel de la vie de Rostand, de sa pièce et détaille la référence à cet auteur singulier né le 6 mars 1619 du nom de Savinien Cyrano et qui se fit appeler Cyrano de Bergerac. Il mourut tout aussi étrangement, d’une poutre sur la tête le 28 juillet 1655. Le récit de Raguneau, dans la pièce de Rostand, à l’acte 5, retrace probablement la vérité. Enfin, le contexte historique est retracé, le personnage de Roxane analysé, le genre de la comédie héroïque éclairé.
Philippe Geneste