Pinguilly Yves, Patrice Lumumba, la parole assassinée,
Oskar éditions, collection histoire et
société, 2010, 97 p.
Dans cette remarquable biographie du révolutionnaire
et homme d’Etat africain, assassiné par les forces coloniales et leurs sbires
locaux, Yves Pinguilly retrace d’abord le contexte du dix-neuvième siècle, une
Afrique gouvernée à 80% par « ses
propres rois, reines, chefs de clan et de lignage », puis sa
soumission dans sa quasi-totalité aux puissances coloniales avec la création du
Congo belge où naît (1925) le Tetela Elias Okit’Asombo, que l’Histoire
retiendra sous le nom de Patrice Emery Lumumba. La biographie nous montre un
jeune homme qui quitte le milieu paysan des Tetelas pour la ville, qui fait
divers métiers, va se passionner pour des études –suivies en parallèle à son
travail– où il puise connaissances nouvelles et meilleure compréhension du
monde qui l’entoure et donc, aussi, des inégalités sociales et raciales qui le
régissent. On le voit faire ses premiers pas dans le journalisme et une forme
de syndicalisme. Dans les années mille neuf cent cinquante, se lèvent les revendications
nationalistes et Lumumba rêve « d’un
Congo uni, libre et unifié au-delà de la mosaïque des peuples qui le composent ».
En 1958 il devient un dirigeant du mouvement national congolais (MNC) qui se
distingue de l’Abako, un autre mouvement de libération nationale, en ce qu’il refuse
une identité ethnique comme ressort de l’indépendance. Lumumba sera en 1958
invité à intervenir à la tribune de la Conférence panafricaine d’Accra, aux côtés de
Mandela, Fanon … Il y dénoncera les facteurs qui entravent l’émancipation des
pays d’Afrique : « Parmi ces
facteurs, on trouve le colonialisme, l’impérialisme, le tribalisme et le
séparatisme religieux qui, tous, constituent une entrave sérieuse à l’éclosion
d’une société africaine harmonieuse et fraternelle ».
Le 13 janvier 1959, c’est l’indépendance du Congo.
Mais la Belgique ,
pays colonisateur, intrigue avec des appuis locaux parmi les élites locales et
au sein même du parti de Lumumba (il se créera un second MNC-Kalonji en face du
MNC-Lumumba). De cette période d’agitation sortira l’indépendance arrêtée le 30
juin 1960. Mais entre les partisans du fédéralisme sur base ethnique appuyés
par la métropole coloniale comme par l’église catholique, fédéralisme suscité
par l’intérêt belge pour les régions minières au sous-sol riche, et les
partisans d’un Congo uni (« je vous
demande de tous oublier les querelles tribales qui nous épuisent » dit
Lumumba s’adressant aux congolais), le torchon s’embrase. Lumumba, au pouvoir
du 30 juin au 5 septembre 1960, échappe à des tentatives d’assassinat
commanditées par les USA ou la
France qui agit de concert avec la Belgique , avant d’être destitué
de son poste de premier Ministre par le vieux compagnon nationaliste Kasa-Vubu,
président du Congo, destitution suivie neuf jours plus tard par le premier coup
d’Etat d’un certain Mobutu, chef d’état-major de l’Armée nationale congolaise.
Lumumba tentera de rejoindre ses partisans mais il sera arrêté, torturé,
assassiné, ainsi que ceux qui l’accompagnaient. Ses tortionnaires, sous l’égide
d’un représentant de l’impérialisme, vont ensuite découper son cadavre avant de
le dissoudre dans de l’acide.
A cette excellente biographie, écrite avec verve et
vitalité, Yves Pinguilly ajoute des documents historiques qui viennent étoffer
les descriptions des événements. Certains,
disponibles seulement depuis les années 2000, montrent l’implication directe des puissances
impérialistes dans l’élimination physique de Lumumba. Un entretien avec
l’auteur hausse encore l’intérêt de la publication en situant les événements de
1960 en regard du devenir de l’Afrique, rappelant le règne de Mobutu et l’actualité
brûlante des guerres où « combattent
des enfants soldats » et qui ont fait au bas mot, trois millions de
morts.
Patrice Emery Lumumba fait partie de cette longue
lignée des assassinés africains partisans de l’indépendance et de la libération
émancipatrice de leurs pays des griffes de l’impérialisme : les camerounais
Félix Moumié, Ruben Um Nyobé, le marocain Mehdi Ben Barka, le burkinabé
Sankara, la représentante de ‘lANC Dulcie September… Comme eux, il a vu se liguer
contre lui le gouvernement de la métropole colonisatrice, l’Eglise catholique,
les autres pays colonisateurs de l’Afrique et même l’ONU, dont la neutralité
s’arrête à l’intérêt bien pensé des pays capitalistes dominants. C’est une
histoire à méditer car elle montre comment sont nées des forces hostiles à
l’émancipation humaine, financées par ceux-là même qui dénoncent aisément chez
les dominés « la nature barbare ».
Philippe Geneste
* extrait du poème "Souffles" de Birago Diop