Anachroniques

23/04/2015

Une nouvelle maison d’édition en poésie jeunesse

Entretien Franck Achard des éditions La Renverse

Le secteur poésie pour la jeunesse est-il si luxuriant pour qu'une nouvelle maison d'édition y fasse son entrée ?

F.A. : Avant que de répondre à cette question, permettez-moi de considérer avec vous les termes de « poésie pour la jeunesse ». Cette appellation, parfois synthétisée en « poésie jeunesse », rejoint la bien connue « littérature jeunesse » et identifie donc a priori son propre lectorat (phénomène unique dans le secteur de l’édition). Vous aurez remarqué que nos ouvrages ne comportent aucune indication de genre littéraire ; ni le terme « poésie », ni la locution « poésie jeunesse » ne figure en couverture ou en page de titre. Il s’agit bien entendu d’un choix réfléchi qui, s’il peut s’avérer néfaste en termes de commercialisation, est important dans notre projet éditorial. En effet, en n’adressant nos ouvrages à aucun lectorat en particulier, ni jeune ni vieux, nous souhaitons que chacun se sente libre d’être attiré, séduit, voire enthousiasmé par n’importe lequel de nos recueils. En réalité, les Editions La Renverse ne sont pas consacrées exclusivement à la poésie pour la jeunesse. Parmi nos trois premiers titres, un seul a été écrit pour un public « dès l’enfance », et un deuxième le sera prochainement. C’est d’ailleurs la locution « poésie dès l’enfance » que nous aurions apposée en couverture, si nous avions pris l’option d’y faire figurer cette information. Car le fait qu’un texte soit accessible dès le plus jeune âge – en ne faisant pas appel à du vocabulaire ou à des références culturelles trop pointus – n’exclut en rien sa capacité à trouver un lectorat bien plus large que celui des enfants, grâce à l’intelligence et la sensibilité de son écriture.
Mais, pour répondre enfin à votre question, si les ventes de livres connaissent une légère baisse en France (-1,2% par an en moyenne selon l’étude du SNE sur « Les ressorts de l’économie de la création »), le secteur jeunesse garde un beau dynamisme. Pour autant, ce n’est pas le facteur économique qui est à la base de notre engagement en faveur des écritures « dès l’enfance », mais la conviction selon laquelle notre rapport à la poésie se construit très tôt, et doit pouvoir trouver des textes actuels, riches, ludiques et sensibles pour s’épanouir.

Les éditeurs connus du secteur de la littérature de jeunesse, perpétuent une poésie dite enfantine qui est un aménagement de recueils ou d'œuvres de poètes illustres. Comment les éditions La Renverse se situent-elles face à ce choix éditorial commun ?

F.A. : Il en va de la poésie comme des autres genres littéraires : les éditeurs les plus connus ne sont pas ceux qui prennent le plus de risques, à quelques exceptions près et en fonction du sens que l’on voudra donner au mot « notoriété ». Entretenir un patrimoine commun par la réédition d’œuvres illustres est évidemment souhaitable, mais ne peut suffire à réconcilier les lecteurs avec la poésie. Car, ne nous voilons pas la face, la poésie est devenue la grande absente dans beaucoup de librairies, faute de lecteurs mais aussi de libraires qui soient en capacité de défendre ce répertoire, d’en montrer et d’en démontrer toute la vivacité et toute l’actualité. Pour cela, nous avons besoin que les auteurs d’aujourd’hui fassent vivre la langue par leur inventivité, une langue nouvelle en prise avec la réalité du monde contemporain. Il nous faut aussi faire entendre ces textes, les lire, les chanter, les crier également, comme nous le propose haut et fort le Printemps des Poètes cette année avec ce beau thème de l’insurrection poétique. C’est ce que la Renverse propose en tout cas aux libraires indépendants avec lesquelles elle a la chance de travailler.

Dans le milieu des années 1990, Le Dé bleu, les éditions du Cheyne, La Renarde rouge, Lo Païs d'enfance, ont marqué l'entrée de la création en poésie destinée à la jeunesse. A voir la présentation de vos éditions et le livre reçu, il semble que vous pensez d'autres voies éditoriales pour la création? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les illustres maisons que vous citez sont autant de sources d’inspiration pour nous, et j’ajouterais Motus à cette liste si vous le permettez. C’est grâce à leur formidable travail que nous sommes aujourd’hui en capacité, nous aussi à La Renverse, de faire des propositions dans ce domaine de la poésie « dès l’enfance ». Notre maison d’édition est née d’un désir de proposer des livres qui allient l’accessibilité à l’exigence, tant pour le texte que pour la conception graphique des ouvrages. Si nous voulons que vive le livre, le beau livre papier, notamment aux côtés de son petit frère numérique qui ne peut que grandir, nous avons pour responsabilité de le rendre aussi attirant que possible. Car si le livre devenait un simple support d’impression, froid et jetable, comme le proposent certaines éditions de poches et certains éditeurs en ligne, il n’aurait alors plus aucune des armes qui lui sont nécessaires pour rester en vie. C’est au contraire par la beauté et la sensualité de son papier, de sa mise en page, par l’éclat de ses couleurs, par toutes les possibilités offertes par l’imprimerie moderne que le livre peut prouver qu’il est encore nécessaire à nos vies, et source de plaisir irremplaçable. Nos ouvrages, coupés en biseau, penchent lorsqu’ils sont rangés sur l’étagère et viennent à la rencontre du lecteur, à la renverse : le livre est aussi un objet avec lequel nous nous amusons.

La lecture du livre de François David et Isabelle Grout montre un soin apporté au rapport texte-image. Est-ce que ce sera une ligne éditoriale ? Et pourquoi ?

Dès lors qu’un éditeur propose des ouvrages pour un lectorat dès l’enfance, il se pose la question de l’image. L’enfant qui accède à la lecture aurait encore besoin, pense-t-on de façon presque tautologique, d’un support visuel. D’où le choix le plus souvent réalisé de proposer des illustrations qui viennent, dans le meilleur des cas, enrichir le texte. Dans d’autres cas, le dessin ne fait qu’enfoncer un clou qui n’a pas besoin de l’être, et aplatit toute possibilité d’imaginer par soi-même l’endroit où nous porte le poème. En faisant le choix de ne pas illustrer le texte de François et Isabelle, nous avons tout de même voulu rendre la lecture ludique, sans imposer à l’imaginaire du lecteur notre vision du texte. C’est pourquoi le jeu sur les typographies a été adopté, montrant ainsi que le mot, donc la langue elle-même, peut devenir source d’amusement, à la manière des calligrammes. Nous ne négligeons pas pour autant la possibilité de collaborer avec des illustrateurs pour nos prochains ouvrages, mais nous prendrons toujours soin à ce que la poésie demeure libre, tout comme l’esprit du lecteur.
Entretien réalisé par Ph. Geneste Avril 2015
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David François&Grout Isabelle, A Cloche-patte, éditions La Renverse, collection Deux choses lune, 2015, 69 p. 13€
Du coq-à-l’âne à la critique en acte des stéréotypes, de la mise en exergue de la mise en page à l’éloge de la réécriture de textes anciens, des jeux sur la sémiologie des mots aux jeux de mots, de l’humour à la pratique de la syllepse de sens à fin de rêverie éperdue, du détournement de la syntaxe à la cruauté, le recueil foisonne de trouvailles langagières qui sonnent à notre contemporanéité sans crier gare, et pousse le lecteur à renverser un peu sa relation à la norme des sens établis. Oui, comme le dit Franck Achard, la tranche du livre qui ressort en oblique du rayon des livres, s’offrent à al main mise du lectorat jeune ou non, pour feuilleter les discours du monde. Mais, comme toujours en poésie, c’est le singulier qui commande l’entrée dans la vie littéraire des mots pour se replier dans l’intériorité des pensées. Foisonnement, disions-nous, multiplicité des entrées poétiques pourrions-nous déclarer. Mais ici, la pluralité ne porte aps au quantitatif, le recueil ne vaut pas par la somme des procédés, il n’est aps un inventaire d’exercices de style. Non. La pluralité triomphante porte plutôt à un passage de témoin des poètes au lectorat, donc à une invitation faite par David et Grout à personnaliser, voire re-personnaliser les poèmes offerts.

Geneste Philippe

12/04/2015

Regards sur les couleurs de la vie

Sánchez Josué, Mayeli et les fleurs d’arc-en-ciel/Mayelí y las flores del arco iris, illustrations Maguy Bussonnière, L’Harmattan, collection contes du monde entier, 2015, 24 p.
Le personnage est une petite fille qui vit dans un village isolé, entouré de verts pâturages et qui n’a pour amis que les animaux dont elle s’occupe et avec qui elle discute. Sa grand-mère étant malade, c’est grâce à eux qu’elle va trouver le moyen de la guérir. Et voilà le récit partant à la recherche de l’arc-en-ciel seul susceptible de chasser la pluie en faisant revenir le soleil. Le conte animalier est donc un conte à thématique cosmique. Les animaux, agents de la Terre, vont accomplir leur mission dans le respect des équilibres naturels. Les couleurs vont se joindre en une guirlande de fleurs, faisant advenir l’arc-en-ciel phénomène de fusion de la pluie et du soleil. Ainsi s’accomplit le vœu de Mayeli, la guérison de sa grand-mère.
Lola Séry

Hayashi Emiri, Regarde dans la mer, Nathan, collection Petit Nathan, les livres des bébés, 2012, 14 p. 13€90
Voici un très beau livre pour les petits. C’est une exploration du bleu nuit, le bleu de la mer et de ses profondeurs, mais il n’y a rien, là de documentaire. Il s’agit d’une invitation à rêver et, selon la pédopsychiatre Catherine Jousselme, d’un ouvrage qui facilite l’endormissement. Les couleurs sont vives, sur le bleu profond, mais tout est douceur, calme et tendresse. C’est un livre apaisant, qui invite à l’observation et suscite l’échange avec l’enfant.
Hayashi Emiri, Regarde dans la neige, Nathan, collection Petit Nathan, les livres des bébés, 2012, 14 p. 13€90
Exploration du blanc de neige et du gris l’ouvrage fait ressortir des personnages fluorescents et des éléments du paysage en vif argent brillant. Le texte ne sert à rien, puisqu’il redit ce que l’on voit, mais les scènes des doubles pages ouvrent le tout petit au monde. La douceur de la neige est interrogée, tout comme sa propension à recouvrir le sol, les arbres… Le petit personnage, un lapereau gris en feutrine agréable au toucher et par le regard duquel le bébé explore les scènes, sert de passeur, de personnage transitionnel aimerait-on presque dire. Le livre devient, par lui un éloge de la curiosité.
Gay-Para Praline, Bonnets rouges et bonnets blancs. Un conte antillais, illustrations de Rémi Saillard, Didier jeunesse, collection contes du monde, 2014, 40 p. 14€20
Incluant les techniques du conte oral à l’intérieur de cette variante du conte du Petit Poucet, Gay-Prala et Saillard font vivre l’histoire d’une substitution de victimes de la pulsion de dévoration de l’ogre. Quatavoume, le petit malin sauvera ses frères en posant leurs bonnets de nuit rouge sur la tête des enfants de l’ogre. Et celui-ci mangera sa propre progéniture. La fin du conte voit la fuite des petits humains abandonnés par leurs parents, la vengeance échouée de l’ogre et de sa femme. Les illustrations en grand format aux jeux de couleurs généralement sombre avec de grands aplats pour signifier l’espace extérieur à conquérir, nous accompagnent vers une interprétation de la galopade des enfants vers leur émancipation : « Cric ! Crac ! Le sabot marche à terre et claque !
metsola Aino-Maija, Couleurs, 2015, Gallimard collection Petite enfance, 16 p. 12€90*
L’illustratrice et designeuse finlandaise propose là un bel ouvrage. Le rouge, le bleu, le vert, le jaune, l’orange, le rose, le violet sont les couleurs décortiquées grâce à des doubles pages multipliant les motifs où identifier la couler traitée, avec des rabats, des fenêtres, vingt-cinq flaps répartis sur tout l’ouvrage. On demande à l’enfant de rechercher telle ou telle couleur tout en légendant les dessins stylisés du nom correspondant. Le répertoire des couleurs emprunte ainsi à l’imagier et au livre d’activité. Il est impératif de lire le livre avec l’enfant pour qu’il puisse effectivement lui transmettre la richesse de cette production.

Geneste Philippe