Anachroniques

27/07/2015

Lectures et pratiques de la lecture

A propos de la lecture dans quelques livres destinés à la jeunesse
Voici deux romans centrés sur la lecture, destinés aux 9/10 ans. Notre articulet ne s’arrêtera pas sur leurs histoires respectives mais sur l’image qu’ils donnent de la lecture scolaire et que nous prolongerons par un ouvrage destiné à l'apprentissage de la lecture .
Dans le premier, écrit par Bernard Friot, Je n’aime pas le français, illustrations de Zelda Zonk, Milan, collection poche cadet, 2014, 79 p. 5€90, la lecture est présentée comme un pensum scolaire inévitable. La professeure de français est chahutée, mais obtient au final que les élèves se mettent à lire dans ce charmant bazar… Si Friot peut se défendre de rendre compte de bien des propos d’élèves eu égard à l’activité de lecture, il n’en demeure pas moins qu’il avalise l’activité distractive des élèves comme une des conditions de fait des apprentissages. C’est un premier point sur lequel on peut trouver démagogique son récit. De plus, la lecture est présentée dans le cadre d’une compétition, ce qui est tout simplement rentrer dans l’air du temps où les enseignantEs sont sollicitéEs en permanence pour présenter les élèves à des concours divers et variés : c’est là une conception du savoir qui verse dans le culte de la compétition et qui donne intérêt aux savoirs qu’en fonction de ce qu’ils permettent de bénéficier, le prix. Les savoirs ne valent jamais pour eux-mêmes. Enfin, la compétition de lecture entre une classe de l’enseignement laïque et une classe de l’enseignement catholique, avalise aussi la présence à l’école d’entreprises via le sponsoring, donne crédit au projet comme base d’obtention des moyens nécessaires à réaliser une activité. Au final, la lecture est une activité de compétition indissociable de la société où domine le culte de l’entreprise. Friot, pour complaire à ses lecteurs, se sert du ton humoristique pour les emmener tout droit dans tous les panneaux de l’école capitaliste que le récit avalise de fait. Une seule interrogation surnage au milieu de cette stéréotypie scolaire, c’est celle portée par le personnage de Katia, qui pose l’importance de la liberté de lecture qui permettrait seule au lectorat de saisir la lecture pour elle-même et non pour une finalité extérieure à elle (un devoir, une note de fiche etc.).
Dans le second de Quitterie Simon, Je ne veux pas lire ! illustrations d’Hervé Le Goff, Milan, 2014, 23 p. 4€99, la lecture est considérée comme une ouverture au monde mais aussi un facteur de lien entre les parents lecteurs et l’enfant auditeur, d’une part, d’autre part entre l’enfant et les autres enfants à qui, à son tour il peut lire une histoire. Destiné aux 6/7 ans, le petit livre pose la difficulté de lecture sur le terrain affectif : une enfant refuse de lire pour conserver ses parents, le soir, auprès d’elle, qui lui lisent une histoire. C’est un choix où la question de la difficulté du lire est, en fait, plutôt évité, mais le livre est agréable avec ses illustrations joyeuses.
Mzali-Duprat Marie-Claire, Chuuuuut, je lis ! illustrations de Daphné Hong, Milan, collection Poussin, 2014, 24 p. 4€99
C’est une histoire animalière, on ne sait pas pourquoi, puisqu’il s’agit d’un récit sur l’enfance humaine. Ce travers est un défaut de la création du livre destiné à la jeunesse qui se perpétue de génération en génération. Pourtant, cet ouvrage particulièrement adapté aux enfants qui apprennent à lire, avec des codes de couleur, une taille de caractères avantageuse, un équilibre réussi entre le texte et l’image, présente un intérêt certain. Il se penche sur la lecture, en ce qu’elle peut isoler l’individu, mais aussi, en ce qu’elle lui permet de s’ouvrir au monde. C’est une exploration de la planète des lecteurs et lectrices. Quand à la fin du livre, elle met en scène la définition dialogique de la langue : « La lecture, j’adore. Et à deux, c’est encore mieux ».

Livres pratiques
Rajcak Hélène, Cherche et colorie des animaux sens dessus dessous, Casterman, 2015, 56 p., 7€95
Cet ouvrage est un album de coloriage doublé é d’une livre à suggestions fines pour l’observation aigüe des dessins. L’auteure invite l’enfant à manier des opérations logiques de combinatoire, quelques opérations liées à la numérotation, d’autres amenant à saisir les inversions de formes, bref, un travail cognitif permanent mais jamais hors de portée, si on pense que l’ouvrage pourrait être offert à des enfants à partir de 8 ans (l’éditeur parle de 5 ans) Ajoutez à cela que c’est un régal de dessins, de véritables œuvres dessinées qui sont proposées et vous comprendrez que nous recommandions l’ouvrage si vous cherchez un ouvrage pratique, une activité de coloriage intelligente.
Philippe Geneste

Goûters pour les gourmands. 40 activités faciles et originales, Père Castor, 2015, 96 p. 15€
Comme souvent pour ces livres pratiques, l’accompagnement de l’adulte est nécessaire, si bien qu’avec cette précision, le livre est valable pour les enfants jusqu’à 12 ans. . Le livre est plein de couleurs, agréable à feuilleter, les recettes sont indexées (de facile à difficile, de 30 minutes et moins à 60 minutes pour la réalisation), elles sont classées en goûters de fête, de rêve, des aventuriers, d’ailleurs avec 10 recettes pour chaque classe de goûter. La boisson est aussi proposée pour accompagner au mieux la recette. Des dessins en couleurs accompagnent la présentation de l’activité culinaire non sans intégrer, parfois, quelques suggestions vestimentaires ou de mœurs juvéniles spécifiques.

Annie Mas

19/07/2015

Pacifisme et liberté

Maricourt Thierry, Le Chien anarchiste, illustrations de Loïc Mailly, éditions Chant d’orties, collection l’églantine, 31 p. 6€
Tout commence comme un de ces petits livres anodins pour les petits, une histoire tendre d’un chien abandonné recueilli et qui devient un compagnon indispensable car si doux de la maisonnée, chats et chatons compris. En fait, c’est une chienne. Peu à peu, des chasseurs viennent troubler l’atmosphère mais si peu, juste les coups de fusil et des regards peu amènes. Mais, voilà, la chienne va défendre son territoire et les chasseurs y passent. Devant la défiance de la bête, ils vont armer leur bêtise assassine et c’est sans crier gare que les lecteurs apprennent la mort de la brave chienne, jetée au fond d’un fossé plein d’eau. L’homme qui l’avait adoptée, va alors creuser au fond du jardin « deux trous » : « le premier pour y enterrer le plus quiet des chiens. Le second qui ne sera jamais refermé, pour y jeter la bêtise, la cruauté de leurs compagnons à deux pattes ». Histoire animalière devenant histoire à dimension sociale, portée par une écriture de grande sensibilité, où on reconnaît l’art d’écriture de Thierry Maricourt, Le Chien anarchiste est une œuvre qui remet au cœur des préoccupations de la littérature enfantine une dimension pacifiste qui y est si peu présente… Un petit chef d’œuvre, coup de cœur des plus jeunes lecteurs et lectrices de la commission lisezjeunesse.

Ruzzier Sergio, Cui-cui, Éditions Casterman, collection les albums Casterman, 2015, 32 p. 13€95
Voilà un bel album à raconter aux enfants dès 3 ans.
C’est une histoire d’amitié mais aussi de lien filial entre un facteur qui jamais ne reçoit de lettres et un oisillon délaissé par ses parents car trop petit pour entreprendre la migration automnale. Ici, aucune morale, aucun jugement péremptoire. Les êtres sont pris au fil de ce que leur vie leur donne à vivre.
Si l’ouvrage pose comme un aplat contextuel un univers humain idéalisé et légèrement rétro, effet renforcé par la composition des pages, la disposition des illustrations, les couleurs aux effets pastel et de peinture à l’eau, il s’élève très vite vers un récit d’images poignant et tendre. L’oisillon grandira, partira. Léo le facteur retrouvera ses activités d’autrefois, sa vie renouera avec les relations sociales cultivées et la joie finale voit le retour, au printemps, de Cui-cui l’ami retrouvé mais jamais retenu.

Philippe Geneste

13/07/2015

Vivre... Aux regards des autres

KAO Sandrine, Le Banc, Syros, 2011, 120 pages, 6€
Alex est d'origine Taïwanaise. Et Alex aime bien manger le repas, que lui a préparé sa mère, sur son banc. Son plat préféré c'est les raviolis de sa maman. Mais ce jour là les raviolis ont un goût de larmes et de colère. On a écrit sur son banc : «  Alex tronche de nem   ».
Il voudrait disparaître, revoir son père, parti à Taïwan, dont il n'a plus de nouvelles depuis des années. Mais il enfouit sa colère, comme toujours, et continue de vivre normalement en essayant d'oublier.
Il y serait sûrement parvenu si Sibylle, sa nouvelle amie n'avait pas insisté pour enquêter. C’est le tournant du livre. A partir de cet instant, Alex va se faufiler dans le tourbillon des mensonges, jusqu’à s’y perdre, déclarant même que son père est mort pour obtenir l'attention de ses camarades.

Le livre traite d'un sujet important, le racisme. Mais au lieu de  l'aborder d'une façon grave et solennelle, il le fait de manière  légère, servi par une écriture douce, un rien enfantine, en même temps que très «  adulte  ». Il glisse, avec profondeur, de cette thématique à celle du jugement porté sur autrui puis de là à la notion de sentiment, qui devraient être les vecteurs de toutes les relations sociales qu’on caractérise, aujourd’hui, par le culte de la différence.  Par la subtilité de son approche, ce roman, assez bref, est à vivement conseiller aux 11-13 ans.
Aurélie Arnaud

Kao Sandrine, Le Pull, Syros, collection tempo+, 2015, 100 p. 6€30
Qui a connu ces pré-adolescentEs engoncéEs dans leur manteau ou anorak, s’y réfugiant comme dans un terrier en pleine salle de classe, ou en pleine rue ; qui a croisé ces pré-adolescentEs perduEs dans un vêtement si ample qu’il les absorbe, les avale, lira avec un intérêt de reconnaissance ce livre de Sandrine Kao. Louisa a analysé pour la commission ce bref ouvrage de belle écriture :
Le livre nous parle de la peur du regard des autres, ce regard qui dépouille la personne de sa personnalité, l’amenant à s’identifier à l’image qu’elle croit donner. C’est le drame de Soline d’une timidité maladive. Elle éprouve, en groupe, la peur qui vous exclut, qui conduit au rejet de l’autre. Tout le livre est un lent cheminement vers une autre peur qui suscite l’appui à prendre sur un proche et ainsi puiser dans la solidarité éprouvée le courage d’affronter sa peur. Le livre est donc une réflexion sur le rapport aux autres à travers le sentiment de la peur. La confiance en soi, Soline la perd face aux injures qu’elle subit chaque jour. En revanche, elle va trouver son intégrité, sa personne, en trouvant appui auprès de son amie Lucille. Ce roman est une belle réflexion, simple à lire,  sur l’altérité, la peur, l’être et l’apparence.
Louisa Dubois

Daeninckx Didier, Mortel Smartphone, Oskar éditeur, collection les romans de la colère, 2015, 62 p. 5€95
Voici encore un très bel ouvrage de Didier Daeninckx destiné à la jeunesse (1). Il s’agit d’une nouvelle qui raconte le parcours tragique d’un jeune congolais soumis aux guerres entre bandes rivales dans sa contrée de naissance. Il va connaître l’exploitation du coltan, ce minerai (alliage de tantalite et de colombite) appelé aussi pierre grise dont on se sert pour tout ce qui est téléphones portables, consoles de jeu… Quatre entreprises internationales maîtrisent la technologie, mais l’extraction du minerai est assurée par des capitalistes locaux, entre banditisme et marché souterrain, et que laissent faire les entreprises occidentales et les autorités locales. Le récit se situe dans la région du Kivu en République Démocratique du Congo, connue pour les combats meurtriers qui terrorisent les populations. Le héros, Cherald, va voir l’esclavage utilisé par l’exploitation capitaliste dans les mines qui parsème ce territoire au riche sous-sol. Il va nous faire partager le travail forcé des enfants, filles et garçons, son enrôlement par la bande armée qui l’a kidnappé, son devenir d’enfant soldat, sa fuite jusqu’en Europe où passager clandestin dans la soute d’un cargo il sera arrêté en attente d’une reconduite à la frontière. Derrière la vitre de la zone policière de transit, il voit passer, les passagers indifférents, leur portable collé à l’oreille…
Magistralement composé, clair, augmenté d’une partie documentaire sous la forme d’un entretien avec l’auteur, Mortel Smartphone est un livre à offrir et à mettre en rayon dans toutes les bibliothèques pour la jeunesse.
Philippe Geneste

(1) mais pas que puisque le lectorat adulte retrouvera l’histoire dans un ouvrage récemment paru de l’auteur, Novellas éditions le cherche midi, 2015, 466 p. 18€90. 

05/07/2015

De l’heroïc fantasy à la science fiction en passant par le fantastique

Moss Alice, Le passage des ombres, Editions Milan, 2014, 382 pages, 13,90€
C’est l’histoire de deux meilleures amies nommées Faye et Liz, âgées de quinze ans. Elles se connaissent depuis la maternelle et habitent toutes les deux la ville de Winter Mill.
Un matin de septembre, il se met à neiger. Cet hiver précoce perturbe la population. De nouveaux arrivants, une mère et son fils, ainsi qu’une bande de motards intriguent les habitants. Ils installent leur campement dans la forêt.
Faye rencontre un membre des motards et tombe amoureuse de lui. Des évènements étranges se produisent. Un jour, alors que son ami Jimmy a disparu dans les bois, Faye se retrouve face à un loup. Intriguées, Faye et Liz décident d’en savoir plus. Elles découvrent que les motards ne sont pas humains, ce sont des loups-garous…
J’ai trouvé ce livre assez captivant au début, mais je ne suis pas rentré complètement dans l’histoire. Les scènes où les héroïnes essaient des tenues pour leurs soirées m’ont parues ennuyeuse et décalées par rapport au côté surnaturel de l’ensemble.
Vasile Drumea

Ness Patrick, Quelques minutes après minuit, illustrations de Jim Kay, éditions Gallimard jeunesse, 2011, 215 pages, 18 €
L’écriture et le graphisme sont intimement liés. Le noir prédomine, il contraste avec des zones de lumière intense. De subtils effets de matière montrent une grande richesse dans les traits, les traces, les coulures et les projections. L’encre semble envahir les mots, telle une chose vivante et sauvage.
Ces derniers temps, Conor, treize ans, fait très souvent un cauchemar où des mains lui glissent des siennes, sans qu’il puisse les retenir. Une nuit, à minuit sept précise, Conor sort de son sommeil. Il sent quelque chose qu’il n’arrive pas à identifier.
Par la fenêtre, la lune éclaire un grand arbre. Un if.
Quelqu’un l’appelle par son prénom. Sous les yeux de l’adolescent, l’arbre se métamorphose en un être mi humain, mi végétal, parvient jusqu’à sa fenêtre, rugit d’une voix basse et puissante. Sa main tordue, faite de branches tressées, le saisit en le serrant au point qu’il peut à peine respirer. Le monstre le soulève jusqu’au dehors, dans le jardin, ouvrant la bouche pour le dévorer.
Malgré la violence de la créature, Conor réalise qu’il ne la craint pas. Au contraire, il attend avec impatience sa venue toutes les nuits.
La mère de Conor est atteinte d’un cancer. Pendant qu’elle est à l’hôpital, le garçon est chez sa grand-mère et souffre de ne plus pouvoir parler à sa mère.
Durant ses rencontres nocturnes, le monstre lui raconte comment il a renversé des ennemis, terrassé des dragons, quelle a été la vie d’un guérisseur qui utilisait la baie de l’if. Comme un guide, il l’encourage à exprimer ses colères, ses envies de destruction et lui permet d’affronter le mutisme de son entourage.
Laurence Druméa

COSTE Nadia, Ascenseur pour le futur, édition Syros, 2014, 139 pages, 5€
C’est l’histoire d’un garçon de onze ans qui s’appelle Brett. Il se fait racketter au collège par une bande de trois jeunes plus grands que lui. Un jour, pour échapper à la bande, il se réfugie dans une vieille usine et découvre un ascenseur. Bien qu’il n’y ait pas d’électricité, les lumières de l’ascenseur sont allumées et les portes s’ouvrent… une personne se trouve dedans ! C’est un adolescent aux cheveux noirs qui lui dit de venir. Sans réfléchir, Brett décide de le suivre et les portes se referment sur lui.
Enfin soulagé d’avoir échappé à ses poursuivants, Brett remercie le garçon. Intrigué, il remarque les boutons de l’ascenseur… ce ne sont pas des numéros, mais des années, jusqu’à 2080. Seulement le bouton de l’année 1991 brille. Immédiatement il comprend qu’il se trouve dans une machine à voyager dans le temps.
Brett comprend, en questionnant le garçon, qu’il vient de l’année 2015 et qu’il se nomme Lucas. Lucas annonce à Brett qu’il doit sortir de la machine et retrouver son quotidien. Mais Brett insiste pour rester. Lucas accepte et Brett se retrouve en 2015 ! C’est de son futur qu’il s’agit : il se voit père avec des enfants. Il est chef d’une entreprise de jeux vidéo et a créé cette machine à voyager dans le temps.
Après de nombreuses aventures, Brett revient finalement dans son présent et se rend compte qu’avec courage il a pu prendre sa vie en main en osant affronter ses harceleurs.
Ecrit à la troisième personne, le livre nous donne une vue d’ensemble sur tous les personnages et les différentes époques.
Cette histoire m’a beaucoup plu parce qu’elle mêle différentes époques et les mêmes personnages à différents âges en même temps. Le livre m’a rappelé le film de science-fiction américain intitulé Retour vers le futur, réalisé par Robert Zemeckis. Après plusieurs voyages dans le temps, le héros, un adolescent déçu par sa vie, réussi à la modifier dans le bon sens après avoir failli tout rendre bien pire.

Vasile Drumea