Anachroniques

31/01/2015

La magie littéraire tombée dans le chaudron de l’idéologie

Le Magicien d'Oz, texte de Jean-Pierre Kerloc’h d’après Franck L. Baum, dit par Nathalie Dessay, illustré par Olivier Desvaux, avec les musiques du film composées par Herbert Stothart paroles, musiques et chansons par Edgar Yip Harburg et Harold Arlen,, Didier jeunesse, 2014, 60 p. + CD de 60’, 23€80
Baum L. Franck, On n'a probablement pas à présenter l'histoire de Dorothée et du Magicien d'Oz adaptée au cinéma en 1939 par Victor Flemin qui n'est pas pour rien dans le rayonnement de l'œuvre de L. Frank Baum (1856 – 1919). Au moment de sa sortie, Baum écrivait qu'il s'agissait de bannir du conte le cauchemar et le chagrin pour n'en garder que l'émerveillement dans le but de distraire la jeunesse. La morale étant dévolue à l'éducation, la littérature ne devait qu'amuser.
Cette œuvre est donc une œuvre explicitement idéologique puisqu’elle se dit œuvre de littérature de jeunesse pure, c’est-à-dire dépouillée de tout enjeu social et politique ou éducatif. Baum voyait en cela le renouvellement de la littérature des contes qu'il s'agissait de ranger au rayon des musées littéraires.
On croise au cours du périple de Dorothée apprentie magicienne ce qu'on identifie aisément, aujourd'hui, pour des poncifs de l'héroïc-fantasy. Le poétique vient renforcer l'élimination du vilain et du mal. Rien qui ne glace le sang, ici, rien qui ne heurte les consciences : on est dans le divertissement qui se voudrait pur de toute autre exigence. Comme chez Harry Potter, les personnages sont appelés à trouver en eux-mêmes, ce qu'ils veulent demander à l'introuvable magicien. Comme Harry Potter leur pouvoir est inné et l'individu est son propre et seul recours….
Et on voit ainsi que Baum tombe dans une idéologie conservatrice. La misère y est expliquée par une sorte de théorie des climats et un fatalisme très naturel. Le magicien tient son pouvoir de la confiance qu'il redonne aux êtres auxquels il vient en aide. Marchand d'illusion, le magicien était tout indiqué pour faire rêver lors de la dépression économique où Flemin le mit à l'écran. On touche probablement, ici, au cœur même de l'œuvre : une propagande sans voile en faveur d'une société individualiste de l'illusion. La grandiloquence pompière de la musique du film reproduite sur le CD avec les chants enchanteurs aux paroles niaises épousent parfaitement ce but. En ce sens, le beau travail éditorial de chez Didier restitue un des manifestes les plus explicites de la littérature destinée pour la jeunesse comme arme idéologique de domptage au divertissement.

Philippe Geneste

25/01/2015

fiction de science ou science-fiction?

Lambert Christophe et VanSteen Sam, Virus 57, Syros, 2014, 378 p. 16€90
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              
Même si c’est une fiction, cette histoire rejoint l’actualité avec l’épidémie due au virus Ebola en Afrique de l’Ouest. Cependant, elle s’en éloigne beaucoup quant au mode de contamination et à la durée d‘incubation ! Si le « charme » de ce roman est de concentrer ainsi l’action, si on le lit avec plaisir, cela n’empêche pas de regretter quelques libertés avec les données scientifiques.
            Tout d’abord, une question d’ordre général sur le thème du roman s’impose. Pourquoi tous les individus sont-ils atteints simultanément alors que les inséminations à l’origine de leur naissance n'ont pas eu lieu au même moment, et que l’âge de la puberté varie individuellement et entre les filles et les garçons ?
            Page 58, on apprend que le « virus [est] visible au microscope (optique, appelé aussi photonique) ». Or, la taille de la plupart des virus varie de 20 à 300 nanomètres (0.000020 à 0.0003 millimètres) ; les plus grands découverts ces dernières années font 0.5 à 1µm (0.0005 à 0.001 mm), mais ce n’est pas la majorité, et sachant que la taille limite visible à l’aide d’un microscope optique correspond environ à celle des bactéries de 1µm, l’observation d’un virus, afin d’être optimale et précise, demande une autre technique de microscopie (microscope électronique à transmission par exemple, qui permet de grossir plusieurs milliers à plusieurs dizaines de milliers de fois contre 1500 fois au maximum pour le microscope optique). A la page 180 les auteurs parlent de « fabriquer un anti sérum », phrase qui n'a aucun sens scientifique ; ou encore, « les traitements n'ont rien donné…acyclovir » : l’acyclovir est un médicament antiviral, mais il est prescrit pour traiter les infections telles que l’herpès, le zona ou la varicelle, son évocation, ici, est donc peu appropriée ; de plus, le délai d'action de quelques minutes, inclus dans le récit, est beaucoup trop court, et il en est de même ^pour l’action du virus lui-même lorsqu’il se « réveille ». A titre de comparaison, la durée d’incubation du virus Ebola est de 2 à 21 jours. A la page 370, on lit : « ils fabriquent un vaccin », alors qu’il est impossible de fabriquer un vaccin avec si peu d'éléments en si peu de temps, les tests d’AMM (autorisation de mise sur le marché) demandant des délais d’au moins plusieurs mois.
p. 370 « ils fabriquent un vaccin », il est impossible de fabriquer un vaccin avec si peu d'éléments en si peu de temps, les tests d’AMM (autorisation de mise sur le marché) demandent des délais d’au moins plusieurs mois.
            Est-ce pinailler que de relever ces erreurs ? Après tout, n’est-ce pas attenter à la liberté de la fiction ? La science fiction, comme la fiction à base scientifique nécessitent cette exactitude quand elle est donnée par l’actualité au moment de l’écriture du récit, ce qui est le cas, ici. Il est dommage que, sous la pression probable de la scénarisation de séries, les deux auteurs n’aient pas voulu faire primer le souci du vraisemblable scientifique. L’histoire y aurait gagné en crédibilité et aussi, en force de connaissances transmises par la littérature. 
Ces réserves faites, Virus 57 est une histoire originale, adaptée en particulier aux adolescents, qui introduit à une problématique de vive actualité même si l’œuvre rate à devenir un vrai roman scientifique.

Catherine Grohando

18/01/2015

A qui parlons-nous, Lorsque nous nous taisons ?

Colot Marie, Les Dimanches où il fait beau, mØtus, 2014, 32 p. 4€50
            Le premier récit de Marie Colot en littérature destinée à la jeunesse, illustrée par elle-même à partir de photographies retravaillées en noir et blanc, est un texte d’une grande sensibilité. Le lectorat est invité à entrer dans la tête et le corps d’un jeune enfant « attardé », que le comportement marginalise alors qu’il est en situation de groupe. S’ajoute à ce seuil indécelable de l’a-normalité le mur à franchir, pour lui, de l’affection pour le père qui ne peut apporter à son fils ce qu’il sait pouvoir lui donner, mais que son handicap empêche de prendre. Blessure intérieure qui se creuse en tragédie affective, d’une part et fracture s’élargissant dans la distance avec les autres, ses pairs, dont l’enfant ne peut partager les valeurs de compétition et de crânerie juvénile un brin machiste. On plonge alors dans l’obscurité –identité du thème et de la mise en page de la collection, petit poche noir-  de l’incommunicabilité. Celle-ci est tragique parce que le personnage se sait « attardé », il sait pourquoi l’approche du père finit toujours par un rebroussement des sentiments.
            Le narrateur personnage s’enfonce dans l’espace de la blessure qui le sépare du monde réel, il y est rejeté par ce monde même qui se moque de sa difficulté à se mettre au diapason des rythmes et des jeux, du langage commun et des idées en vogue. . La fin, si proche du Chaland de la reine de Marguerite Audoux, est poignante jusqu'à ce que le père sauve le fils de la noyade « Et il a pris ma main ». Le père lui prend la main quand jusque là il tentait, lui, de la lui donner. On pense à Le Bruit et la fureur de William Faulkner ou à Les Oiseaux de Tarjei Vesaas, mais ici, la nature n’est pas plus un refuge que les relations humaines pour « l’attardé ». Cet opuscule d’une rare simplicité introduit le lecteur dans je jeu infiniment délicat du lien à tisser et de la confiance qui en est l’énergie tisserande. Les Dimanches où il fait beau touche au besoin de l’attachement, cette relation de proximité, ce contact rassurant qui donne confiance en soi et ouvre le domaine du possible, domaine fermé à double tour par les relations d’ordre du social.
            En retour de lecture, il reste à chacun, à chacune à répondre à cette question si bien formulée par l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas, et qui pourrait bien être celle du narrateur personnage du récit de Marie Colot :
« A qui parlons-nous
Lorsque nous nous taisons ? »
Philippe Geneste


12/01/2015

Un écrivain prolétarien dans la sincérité de ses contradictions : Jack London

Fauconnier, Bernard, Jack London, Gallimard, collection folio biographies, 2014, 287 p. 8€40
            Voici une biographie au style alerte, avec des prises de parti qui engagent l’auteur dans une discussion avec le lecteur. Si l’empathie pour l’écrivain américain issu des classes populaires est avérée, Fauconnier évite soigneusement l’hagiographie et interroge les textes et les prises de position de jack London. L’auteur s’appuie sur les biographies françaises et de langue anglaise ou américaine existantes pour préciser son propos, le mettre aussi en contrepoint. On suit l’auteur prolétarien, qui, au fond, n’a cessé de revenir à l’œuvre autobiographique par le récit de personnages. Admirateur de Spencer, le philosophe fondateur de l’évolutionnisme philosophique et père incontestable du libéralisme et de l’individualisme bourgeois, London n’en évite pas les erreurs de l’innéisme que ce soit sur la considération essentialiste des inégalités (1) entre peuples. Fauconnier met bien en avant la mésinterprétation de la théorie Darwinienne chez London. On regrettera que le biographe, pourtant y commette quelques faux-pas lui-même (2). Ceci étant, l’auteur a le mérite de donner aux lecteurs les éléments de la source spencérienne des conceptions de London et suivre les variations du traitement du sujet à travers l’œuvre. On appréciera, en particulier, chez Bernard Fauconnier, la volonté de voir comment London tente d’articuler son engagement syndical puis politique au Socialist Labor Party avec la philosophie d’Herbert Spencer à qui il restera toute sa vie attaché.
            Bernard Fauconnier montre aussi, comment London vit la contradiction, qui forme le fond même de Martin Eden, de l’écrivain prolétarien devenu écrivain professionnel. Là encore, la biographie se fait enquête avec l’analyse des indices que sont les œuvres tant journalistiques que romanesques. Les amours de London, son rapport aux femmes, sa relation avec sa mère, sont eux aussi évoqués sans fard, avec intelligence et précision.
            Cette biographie qui se lit comme un roman, ouvre le jeune lectorat à la problématique de la vie littéraire, faisant entrer chacun et chacune dans l’ouvroir de l’écriture quotidienne, pistant les motivations où se nourrit l’acte de création de la fiction. De part l’auteur lui-même sujet de la biographie, c’est la matière littéraire comme matériau social de la lutte des classes qui est introduit, là où souvent, les biographes pour la jeunesse préfère les thèses édulcorées et foncièrement individualiste et innéistes.
            Un livre, donc à recommander aux adolescentEs comme aux centres de documentations et bibliothèques.
Geneste Philippe

(1) on lira avec intérêt le dernier livre de Patrick Tort, Sexe race et culture, conversation avec Régis Meyran, Textuel, collection conversations pour demain, 2014, 108 p. 16€ - (2) page 69, le propos de Fauconnier laisse supposer que Darwinisme et évolutionnisme philosophique seraient compatibles. A la page 109, il énonce imprudemment : « [London] retient des leçons de Darwin une inégalité quasi génétique entre les êtres : les lois de l’évolution sont inéquitables. Au sommet de l’échelle, il y a l’homme blanc, dont la mission est d’assurer le progrès de l’espèce. Les autres suivent ou restent à la traîne, c’est selon ». Cette affirmation vaut pour London, pour le darwinisme social initié par Spencer, pas pour Darwin

01/01/2015

Du premier ouvrage sur la PMA destiné au lectorat enfantin

Dolto Catherine, Szejer Myriam, avec la collaboration d’Anne Vidal, L'Aventure de la naissance avec la PMA, illustrations de Sandrine Martin, Gallimard jeunesse Giboulées, 2014, 75 p. 14€

Dès la première page, une question vient à l’esprit : à quel lectorat ce livre est-il destiné ?
- Aux enfants nés par PMA ? L’introduction l’indique clairement « Ce livre est pour toi qui es né avec la PMA… » Dans ce cas, les autres enfants ou adolescents désireux de comprendre de quoi il s’agit se sentiront exclus ; si les illustrations semblent adaptées à des enfants, elles sont trop simplistes pour des adolescents ; à l’inverse, les textes sont trop longs et denses pour de jeunes lecteurs, des termes scientifiques ne sont pas expliqués. Il faut vraiment que l’enfant aime lire et possède un vocabulaire courant assez riche pour entrer de plein pied dans ce livre.
- Aux adultes ? Pourquoi pas, on peut supposer que l’adulte en fera la lecture à son enfant. Mais alors, il manque quelques explications et schémas plus précis et adaptés aux parents.
Puis, au fil de la lecture, plusieurs critiques s’imposent :
- quelques expressions étonnantes, malvenues, sources de confusions,
P. 8 « la fée médecine » ; p. 13 « les cellules de vie » ? ; p. 16 la comparaison des spermatozoïdes « comme tous les petits poissons… Comme des algues » ; p. 20 le paragraphe « le cœur en millefeuille » ?
Bien-sûr, on peut vulgariser des données scientifiques, mais celles-ci doivent rester justes et ne pas entraîner ensuite d’idées fausses (que l’on retrouve assez souvent dans les questions des élèves en classe, après avoir vu un documentaire, un journal télévisé, ou encore après avoir surfé sur des sites internet non vérifiés…).
 - des données à vérifier
P. 15 durées de vie de l'ovocyte 72 heures : c’est un maximum, la moyenne étant plutôt de 24h à 48h, ce sont les spermatozoïdes qui vivent 3 à 6 jours ; p. 34 nidation à quatre ou cinq jours : c’est plutôt de 6 à 7 j après la fécondation.
- des erreurs scientifiques
P. 16 l'ovocyte est éliminé pendant les règles : NON ! Les règles sont l’élimination de la muqueuse utérine en l’absence de grossesse. P. 22 l'embryon est composé de 50 % de cellules venant du père : encore une fois NON ! Il y a confusion entre gènes et cellules, confusion que l’on n’admet pas d’un élève de 3è… P. 59 dans une grossesse naturelle les géniteurs sont toujours les parents… ? Définition dans le lexique de l'infertilité.
- Autres phrases contestables ou qui peuvent être mal interprétées
Dans l’introduction, « Leur mère n'arrivait pas à être enceinte » (donc c'est la faute de la femme !) ; p. 26 le double don de gamète est interdit en France : pourquoi en parler ? ; p. 38 « la vie avant de naître... Parfois même des souvenirs », p. 49 « souvenirs de la vie d'avant », p. 52 « souvenirs d'avant la naissance » (encore) ; p. 53 « on sait qu'on est conçu par PMA, c'est notre histoire », tout cela  est-il prouvé ? Est-ce une manière, quelque peu cavalière, d’introduire la psychanalyse ? En tout cas,  on s’éloigne du sujet ; p. 57 « le bébé se sait aimer, a envie de grandir » : en quoi est-ce particulier aux enfants nés grâce à la PMA ?; p. 51 « les filles jouent à la poupée, les garçons doivent être forts », là encore, on s’éloigne du sujet et comment un jeune lecteur va-t-il interpréter cette phrase , qui reproduit une stéréotypie sociale idéologique ?

Avec véritablement 10 pages sur la PMA, le livre traite plus de la naissance en général. La technique de la FIVETE (Fécondation In Vitro Et Transplantation Embryonnaire) est absente du livre. D'un point de vue scientifique le livre comporte quelques erreurs non négligeables, il manque d'explications par rapport au sujet c'est-à-dire la PMA et sa lecture est paradoxalement trop compliquée. L’ouvrage n’est pas assez  illustré pour des enfants et se trouve inadapté pour les adolescents. Le texte est trop long, et  s’il était fait pour des adultes, il n'apprend pas grand-chose. Enfin, il est vraiment regrettable que ce premier livre sur la PMA destiné à un jeune lectorat reproduisent des idées toutes faites et sexistes.

Catherine Grohando