Scott Jenny, Animalium,
illustrations de Katie et Broom, traduit
de l’anglais par Emmanuel Gros, Autrement, 2014, 112 p. 25€
Voici un imagier naturaliste avec
un texte scientifique écrit à portée de compréhension d’enfants et d’adultes
non spécialisés. Alors que, du côté du cinéma, l’imaginaire de la nature est en
perte sèche auprès de la jeunesse (1), voilà un livre qui permet à l’enfance de
se connecter au monde naturel, d’en parler, d’en prendre conscience, qui
appelle des expériences de découvertes : « les enfants jouent moins
dans la nature et lorsqu’ils deviennent scénaristes, tendent à moins la
représenter dans les histoires qu’ils écrivent » explique Stéphane
Foucart.
Le livre de Scott et Broom est
une pierre dans cette bataille sourde entamée pour préserver l’imaginaire
naturel de l’enfance en dehors des monstruosités de la fantasy que, seule,
pourtant, une bonne connaissance du règne du vivant permet d’apprécier à sa
juste valeur de création.
Les illustrations empruntent aux
planches colorées des naturalistes, on pense à Linné, à Darwin et invitent le
lectorat à se délecter de liaisons insoupçonnées et insoupçonnables, un peu
comme opère la poésie. Nul ne sait ce que chacun, chacune va repérer dans les
images de la vulgarisation scientifique, mais tout le monde sait que
l’imaginaire s’y nourrit. Le jeune lectorat aime
se promener au cœur de ces planches précises et fouillées. L’autrice en
organise la présentation en suivant l’ordre généalogique de l’évolution des
espèces. Animalium emprunte à l’imagier l’ordre de la désignation quand
des commentaires aident le jeune lectorat à se situer sur la terre, à
l’intérieur du règne animal, n’omettant pas de souligner les liens avec le
milieu végétal ou géologique, terrestre, marin ou aérien.
On
entre dans le livre comme dans des galeries : celle des invertébrés, celle
des poissons, celle des amphibiens, des reptiles, des oiseaux enfin des mammifères.
Un index propose une autre forme de lecture du livre et des planches. Le très
grand format (370x272) magnifie le travail iconographique et taxinomique. Le
livre prend ainsi du poids. à
l’heure de la fuite en avant technologique destructrice de la nature par un
capitalisme partout triomphant, il acquiert une fonction de résistance à
l’oubli humain de la diversité du vivant ; il alimente l’imaginaire
enfantin en représentations de la nature. Le lectorat voyageant dans les
images, éclairé par les textes explicatifs concis, habite durant le temps de la
lecture le monde naturel puis, reposant le livre, est plus apte à l’appréhender
au dehors, à en lier les manifestations visibles..
Geneste Philippe
(1) cf les films de Disney où
« les décors naturels sont moins
présents », passant de 80% du temps dans les films des années 1940 à
50% dans ceux produits de nos jours, avec une majorité écrasante de paysages
naturels « de plus en plus
anthropisés (zones agricoles, jardins etc.) » Stéphane Foucart « L’Imaginaire atrophié » Le
Monde des 18/19 mai 2014.
Pichard
Alexandra, Cher Bill, Gallimard jeunesse Giboulées, 2014, 48 p. 14€50
Une fourmi et un poulpe qui
correspondent, voilà qui sent l’histoire animalière. Fausse donne, le livre est
une vraie correspondance, où l’autrice a cherché à recréer les mises en suspens
que toute correspondance porte. Là les deux interlocuteurs se prennent au jeu
et apprennent chacun deux monde de l’autre. La correspondance est alors une
apologie de la différence. Mais le livre va plus loin. Les illustrations
minimalistes d’Alexandra Pichard laissent toute leur place au texte pour que le
jeune lectorat puisse construire la représentation des deux mondes en
communication. Les clins d’œil à la situation des enfants contemporains
abondent, évidemment, amenant le sourire autant qu’une morale que l’on pourrait
formuler par plagiat : de la conversation naît la lumière, ou encore, de
l’apprentissage du monde naît l’intérêt pour tous les mondes.
Courgeon Remi, Brindille,
Milan, 2012, 40 p. 16€90
L’album explore l’univers machiste : Brindille est la seule fille
dans une famille où il n’y a que des hommes, la mère est morte. Brindille,
Pavlina de son vrai nom, va se faire sa place, à coups de poings. Mais elle
fini cabossée, l’œil au beurre noir. Alors, elle se met à la boxe pour se faire
respecter. Et ça marchera. Les tâches domestiques seront partagées. A la fin,
Pavlina abandonne la boxe, se remet à jouer du piano : « Les poings
sont faits pour s’ouvrir et les doigts pour s’envoler ». La dernière image
la montre apprenant à taper sur les touches noires et blanches à un petit
enfant. L’album est de très grand format. Les illustrations sont brutes,
alternant aplats de couleurs et dessins au trait coloriés. Les silhouettes sont
stylisées avec art, créant une danse des formes autour de l’âpreté de
l’histoire. A chaque double page, sans raison apparente, une lettre se
démarque, inscrite dans le dessin jusqu’au P du piano de la paix. L’osmose
entre l’illustration et le texte assure la force persuasive de cet album qui
traite de la difficulté d’être pour une enfant dans un univers de virilité et
aussi de l’enfance maltraitée, mais sans jamais de compassion. Un bel album.
Lim Yeong-hee, Kongiwi,
l’autre Cendrillon, illustrations de Marie Caillou, Père
Castor, 2013, 32 p. 17€
Ce très bel album de grand format
(280x360) se donne pour l’adaptation d’un conte coréen. Nous n’avons pu
retrouver la version sur laquelle Lim a travaillé son adaptation. Si l’autrice
y a été fidèle, alors, cette adaptation étonne par sa fin euphorique : en
effet, le conte dans ses versions vietnamienne, tibétaine, japonaise et chinoise
se finit mal pour la mère et ses filles. De plus, le sous-titre « L’Autre
Cendrillon » est bien peu justifié, car l’enfant ne se trouvera pas
dépaysé par les personnages. Enfin, le texte, assez concis, est peu évocateur.
Les illustrations de Marie Cailliou, en revanche font entrer les lecteurs dans
le rêve, avec des aplats de vives couleurs phosphorescentes, une multitude de
détails, aux traits fins. A l’intérieur de silhouettes stylisées des
personnages, animaux ou objets. Il n’empêche, bien sûr que, par l’œuvre
graphique et le soin éditorial, cet album fera la joie des enfants ouvrant un
cadeau.
Klassen Jon, Ce
n’est pas mon chapeau,
adaptation française de Jacqueline Odin, Milan, 2013, 40 p. 12€20
Dans l’album précédemment publié
par les éditions Milan, Je veux mon chapeau, on avait vu
comment un lapin chenapan se faisait écraser par un ours qui cherchait son
chapeau volé. Avec Ce n’est pas mon chapeau,
on quitte le milieu terrestre pour le milieu aquatique. Ici, un gros poisson a
perdu son chapeau, volé par un petit poisson. On quitte aussi le point de vue
de la victime du vol pour celui du voleur.
L’album en
format italien se prête à la course poursuite. Le petit poisson se croit à l’abri
dans les hautes herbes sous-marines, mais on verra en ressortir le gros
poisson, avec son chapeau, mais pas le petit poisson. Les peintures de Klassen
sont magnifiques, de couleurs sombres, et le récit est rythmé par les doubles
pages. Comme pour l’album précédent, on est tenté de lire le texte comme un
conte moraliste qui met en garde l’enfant contre la confiance naïve déposée
chez les autres personnes, et en creux, la mise en exergue d’une critique de la
loi du plus fort qui agit sur la moralité de chacun et chacune. Le petit
poisson n’a-t-il pas été trahi par un crabe frileux et poltron ? Conte
moral, le récit n’est pourtant pas moralisateur. C’est plutôt une leçon de vie,
une fiction sur la crudité des rapports sociaux où s’enracine la cruauté
légendaire des contes. Nul doute que longtemps l’enfant, à qui on aura lu le
livre ou bien qui le lira, cherchera dans la double page de garde finale si le
petit poisson est encore là…
Philippe Geneste