Anachroniques

27/11/2013

liberté, en prose et poésie

HELLENA Cavendi, Un Air de liberté, éditions Chant d'orties, Collection Graines d'orties, 2013, 182 p. 15€
Le voyage dans le temps est un des grands thèmes du roman de science fiction depuis H.G.Wells. C'est le voyage que vont entreprendre les 4 héros du roman pour sauver la société idéale dans laquelle ils vivent en 2368 depuis que la Révolution libertaire, déclenchée par la chanson Liberty de John Lesmoines, a eu lieu il y a plusieurs siècles.
C'est ainsi que Phil, fils d'un nostalgique du capitalisme qui manigance contre le nouveau système, avec ses amis de toujours Amélie et Pierrot vont s'allier à la mystérieuse Lluvia pour déjouer les plans des conspirateurs.
Pour continuer à vivre dans cette société plus juste où l'air est si pur et où les contraintes et l'argent ont disparu, ils vont traverser le temps à bord d'une drôle de machine, vont se perdre et se retrouver enfin.
Dans ce récit plein d'aventures et de suspense, les quatre amis vont surtout apprendre, réfléchir sur l'amitié, la mort, le pouvoir, la solidarité et la liberté.
Le livre de Hellena Cavendi, parsemé d'illustrations de Julie Grugeaux, est un conte écologique chargé de poésie et d'optimisme. Il est un peu manichéen et semble être un texte édifiant destiné à de jeunes adolescents amateurs de science fiction que l'on veut sensibiliser aux utopies libertaires puisqu'il est prometteur d'un avenir où la relation dominants dominés aura disparu.
Geneviève Muňoz, Germinal Vallès

ELIAS Jean, Grand-mère arrose la lune, illustrations d'Anastasia Elias, collection Pommes Pirates Papillons, MØtus, 2006, 56 p., 10€
Ce recueil unit les poèmes par l'illustration en noir et blanc sur papier recyclé gris. Entré dans le cocon du livre au papier granuleux, le lecteur suit les pérégrinations des mots. On lit alors un conte, le conte d'une grand-mère univers avec la lune pour fil d'or. Mais, bénéfice de la liberté de lecture, on peut, aussi, lire les poèmes séparément, y trouver, parfois, des haïku ("La canne de Grand-mère / est bourrée de petites lunes / qui laissent derrière elles / des taches lumineuses". L'illustration étaie la lecture en ce sens qu'elle lui apporte des points d'ancrage pour l'interprétation des poèmes au cas où le lecteur serait en panne de compréhension. Il faut louer –une fois de plus louer- les éditions Motus de chercher, hors sentiers courus des chemins neufs pour amener le jeune lectorat à prendre en main le texte qu’il a sous les yeux et cela, en combattant avec pugnacité le didactisme, cet ennemi de la littérature et donc cet espion adulte planqué au cœur de la littérature de jeunesse.

ELIAS Jean, ELIAS Anastassia, Les Rêves s’affolent, MØtus, 2013, 72 p. 10€
Un album poétique est un album où le texte suit en vers l’image ou bien où l’image suit en trait le texte. Au fil des pages, nous passons d’un cas de figure à l’autre dans Les Rêves s’affolent. Et c’est l’imaginaire qui nous emporte dans une ronde où les mots se fixent sur des évocations ou bien des évocations font imploser la teneur en sens des mots. L’inventivité est partout, partout touchante, humoristique ou tragique –rarement-. Rien n’est immédiat d’accès et pourtant, tout enfant s’y complaît. Le papier grisé porte les poèmes en caractères gras. L’illustration est pataphysicienne, crayonnée, avec un dessin fouillé qui fourmille souvent de détails. C’est un dessin « à l’encre sympathique » qui donne à apprendre « la langue des rêve » ou plutôt sa transcription graphique. Le jeu des mots avec le dessin est parfois lugubre « Je rêve que j’ai un robot (…) / Il ne pense qu’à une chose / me fausser compagnie / /pour aller piquer une tête / dans la piscine municipale » et comme la dessinatrice est au fond e la piscine, les têtes des nageurs et nageuses ont disparu…

PREVERT Jacques, Etranges étrangers et autres poèmes, choisis et présentés par Camille Weil, Gallimard, collection Folio junior poésie, 2013, 95 p. cat 2
Dans cette anthologie composée de poèmes des recueils Grand bal du printemps, textes divers (1929-1977), la cinquième saison, Paroles, Spectacle, Histoires, La Pluie et le beau temps, propose des œuvres sur la misère, le racisme, la délinquance et l’enfance maltraitée, les enfances prolétaires, la condition du peuple dans les guerres patriotiques et les guerres coloniales, les cités ouvrières. Prévert (1900- a bien connu l’office central des pauvres de la ville de Paris où son père avait fini par trouver du travail. Parti à 15 ans rechercher du travail, ayant fait de nombreux petits boulots tout en continuant à dévorer des livres par centaines, Prévert, aime évoquer les lieux et les êtres qu’il a croisé, qui l’ont marqué, avec qui il s’est lié. Journaliste, surréaliste un bref temps, écrivain du groupe Octobre, troupe de théâtre engagé et militant, puis scénariste et dialogueur de films, Prévert publie son premier recueil de poèmes en 1946 : Paroles. L’œuvre poétique de Prévert touche les enfants d’aujourd’hui comme elle touchait ceux d’hier. Il y a chez lui une volonté de simplicité et vie du sens qui l’éloigne de l’élitisme poétique qui domine ce secteur littéraire. L’anthologie ici constituée est intelligente et pose l’engagement à l’origine même du geste poétique.
Geneste Philippe

17/11/2013

De roman en album, le récit et l'Histoire

GROUSSET Alain, Le Magicien du pharaon, Nathan, 2013, 189 p. catB
Cette histoire se déroule au cœur de l'Egypte ancienne. Il est écrit à la troisième personne ce qui donne une distance avec la matière historique et fictive. C'est celle d'un oncle architecte, mais surtout de son neveu, Djar, magicien, qui est souvent en difficultés et en danger de mort tout au long de l'aventure. L'histoire est linéaire, faite de péripéties où l'arrière fond historique n'est qu'un décor, bien que l'ouvrage décrit avec intérêt la religion polythéiste et les temples qui étaient consacrés aux dieux. A travers les prêtres et les souverains, Le Magicien du pharaon livre une réflexion sur le pouvoir et ses modalités d’influences sur le peuple. Les traitres sont punis et humiliés, les amours des héros sont comblés et sauvés, l'autorité du souverain, Antef II, entretenue comme produit de la justice et de l’autorité, grâce aux victoires accumulées de nos héros. Le roman de Grousset est donc bien un récit d’aventure plus qu’un roman historique, mais il n'y a pas d'irréel et au cours du trajet de Djar le lecteur est confronté à des aspects documentaires sur al vie autour du Nil, dans la capitale et les temples...
Chloé Thouvenot

CUVELIER Vincent, Je Suis un papillon, illustré par Sandrine MARTIN, Gallimard jeunesse, 2013, 32 p. 12€50
L’histoire se résume à la montée du nazisme en Allemagne dans les années trente. Le motif ligaturant est le personnage d’un papillon que l’enfant lecteur suit en épousant le point de vue. On peut y voir le symbole de la fragilité de la vie, son côté éphémère qui devrait inciter à ne point remettre au lendemain les combats à mener le jour même. Mais ce serait aller un peu plus loin que l’album et ses illustrations réalistes de fanzine où domine le brun. Malgré ces dernières, le livre laisse un peu décontenancé. Certes la dénonciation du nazisme est bien présente et en os temps confus on a envie de s’en réjouir. Mais il y a une certaine platitude du texte, un manque d’inspiration diront certains qui frappe, surtout lorsqu’on connaît l’œuvre de Cuvelier.
On peut avoir une toute autre opinion si on considère l’album comme un ouvrage politique didactique. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action, personnages concentrés sur une famille, c’est une tragédie pour petits qui est donnée à lire. Le motif du papillon sans apporter de poésie au propos, ouvre une dimension imaginaire qui peut suivre la fantaisie enfantine tout en la recentrant sur le seul propos didactique.
Reste, dans les deux lectures une interrogation. Cet album est proposé à des enfants de quel âge ? L’éditeur propose dès 7 ans. Pourquoi pas. Mais le contexte historique devra être éclairé si on veut que l’enfant profite du propos. Nous voici de nouveau pris de doute. Mais après tout, l’album n’a-t-il pas acquis ses lettres de genre à part entière ? Si c’est le cas, et ça l’est, sa lecture fluctue selon le contenu, en dehors donc de tout figement dans une tranches d’âge fixée. Nous offririons alors cet album aux collégiens.
Geneste Philippe

03/11/2013

Cyberharcèlement et pédophilie

WITEK, Jo, Mauv@ise connexion, Editions Talents Hauts, 2012, 95 pages.

Julie Nottini est une jeune fille de 18 ans qui témoigne du calvaire qu’elle a subi quatre ans plus tôt. Cette histoire est donc un flash-back raconté à la première personne du singulier.
Alors qu’elle n’a que quatorze ans, Julie est une jolie jeune fille attirée par le métier de mannequin. Elle aime se prendre en photo avec sa meilleure amie, Katia. Un soir, Julie s’inscrit sur un nouveau tchat sous le pseudonyme de Marilou, une jeune femme délurée de seize ans, où elle fait la connaissance d’un jeune homme de vingt ans nommé Laurent Devroux dont elle tombe très vite amoureuse.
Elle admire cet homme sérieux qui se soucie de son bien-être, lui conseille de bien travailler en classe et qui prétend être un photographe de mode prêt à aider Julie dans sa carrière de mannequin. Petit à petit, il la manipule en lui conseillant de ne parler à personne de leur liaison constituée d’échanges virtuels, de prendre des distances avec sa meilleure amie… Il ne peut malheureusement pas la rencontrer parce qu’il dit avoir une ex-petite amie qui menace de se suicider s’il la quitte. Il a donc besoin de temps. Julie obéit à tout ce qu’il lui demande. Elle fait croire à Katia qu’elle a rompu avec Laurent et, sans donner d’explication à son amie, elle ne lui parle presque plus. Alors qu’ils ne font qu’échanger des messages, Laurent a une emprise considérable sur la jeune fille.
Cette emprise va s’amplifier lorsque Laurent suggère à Julie de se procurer une webcam afin qu’ils puissent enfin se voir tout en discutant. Un souhait que Julie s’empresse de satisfaire puisqu’elle souhaite aussi voir l’homme qu’elle aime.
L’auteur du livre décrit très bien la progression du calvaire de Julie. Il s’agit d’abord d’une liaison épistolaire, d’une histoire d’amour où deux êtres se confient via Internet sans se voir, mais où déjà l’homme manipule l’héroïne. Ensuite, avec la webcam, la manipulation de Laurent se fait plus forte et plus perverse. La webcam accentue le « harcèlement moral » (1) que Julie va subir de plus en plus. L’héroïne prend alors conscience, d’une manière progressive, qu’elle est la « web poupée » (2), la « chose » (3) de cet homme qu’elle croit encore aimer. Même si elle ressent quand même un malaise dès le début, elle ignore si ce qu’elle fait est normal ou anormal puisqu’elle n’a jamais vécu d’histoires sérieuses auparavant. Elle pense en effet qu’il est logique et courant qu’un jeune homme de vingt ans lui demande de se déshabiller devant la caméra.
Ensuite, au fil du temps, cette manipulation devient du cyber-harcèlement. En effet, lorsqu’elle lui avoue enfin qu’elle s’appelle Julie et n’a que quatorze ans, Laurent s’en moque et l’oblige à défiler dès minuit, et ce parfois jusqu’à quatre heures du matin. En fait, l’âge réel de l’héroïne n’a aucune importance pour cet homme. Julie se rend compte alors qu’elle ne l’aime plus vraiment, elle ne souhaite plus qu’il se connecte et finit par avoir peur de lui. Mais elle se retrouve seule face à cette terrible situation. En effet, elle ne peut plus se confier à sa meilleure amie avec qui elle a coupé les ponts sans explications. Elle essaie de se confier à son père puis à sa mère mais la honte l’empêche de prononcer un mot. Alors qu’elle tente de communiquer son malaise à Laurent, celui-ci la menace de tout révéler à sa famille puisqu’il connaît son adresse. Il s’agit alors d’un chantage où Julie est piégée et est obligée d’obéir à cet homme.
Elle se dégoûte elle-même et le malaise qu’elle ressentait au départ, mais qu’elle supposait alors normal, devient un mal-être profond. Julie n’arrive plus à manger, elle a des troubles du sommeil, ses notes à l’école deviennent catastrophiques. Et l’homme qui se souciait de son bien-être au début de l’histoire devient un bourreau qui se moque de ce que peut ressentir la jeune fille et ne l’appelle pas par son vrai prénom, qu’il connaît pourtant, mais par Marilou. Elle-même ne l’appelle plus Laurent mais le « monstre » (4), « L’Autre » (5), l’être qui l’a piégée. Cette manipulation, ce cyber-harcèlement, sont un enfer pour Julie qui ne peut plus se sortir de cette situation.
L’auteur insiste également sur le fait que, même s’il ne la jamais frappée ou touchée, la violence que Laurent exerce sur Julie est quand même présente, réelle. L’héroïne est blessée au plus profond de son être, son insouciance lui a été volée.
Heureusement, un jour, elle tombe sur un reportage où une femme a vécu la même chose qu’elle. D’elle-même, Julie se rend compte de la gravité de la situation et contacte une association dont la psychologue, sous la demande de la jeune fille, explique à sa mère le drame qu’a vécu Julie. Ce n’est qu’à la fin du livre que Julie se rend vraiment compte qu’elle a été la victime d’un pédophile.

Ce livre a été publié récemment, en 2012, et traite d’un problème d’actualité : les dangers qu’un(e) adolescent(e) peut rencontrer sur la Toile. Pourtant, les adolescents d’aujourd’hui représentent la génération des « digital natives » (6), des natifs du numérique. Ils sont assimilés à des « technophiles », c’est-à-dire à des gens très à l’aise avec les outils numériques. Il semble certain qu’une culture adolescente liée au numérique est en train de se développer. Cependant, si la plupart des jeunes savent se servir des outils numériques, ils n’ont aucune idée de la dimension éthique que l’utilisation de tels outils devrait comporter. Le cas de Julie illustre bien ce problème : l’adolescente sait très bien se servir de l’ordinateur et elle n’hésite pas à y mettre des photos d’elle, à l’insu de sa mère. Alors au début de son histoire, la jeune fille dévoile des aspects privés et intimes de sa vie sans se rendre compte que cela peut lui nuire puisque c’est par ce moyen que Laurent va la repérer et cerner sa personnalité. Il va rapidement comprendre que pour Julie l’image qu’elle donne d’elle et le regard des autres sur elle sont très importants.
Cette histoire peut permettre à des lecteurs/lectrices adolescent(e)s de se rendre compte de l’importance de trier les informations (dont les vidéos et les photographies) les concernant avant de les diffuser, même à titre privé. Sans dramatiser, ils doivent prendre conscience qu’avec le numérique, toutes les informations sont des traces difficilement effaçables. Laurent l’a bien compris et on apprend à la fin du livre qu’il s’est servi des vidéos de Julie pour les vendre sur des sites pédophiles. Ce livre rejoint les thématiques de l’identité numérique sur Internet, ou cyber identité, terme qui désigne les informations qu’un individu met ou laisse sans le savoir en ligne concernant la reconnaissance de sa personne, et de la « e-reputation », c’est-à-dire la gestion de l’image de soi sur la Toile. Dans le cas de Julie, cette « e-reputation », que Laurent finit par contrôler en gardant les vidéos d’elle, dépasse le cadre virtuel pour se répercuter dans la vie quotidienne et réelle de la personne. C’est ce qui se passe par exemple lorsque ce criminel fait chanter Julie, en la menaçant de tout dire à sa famille si elle parle.
Enfin, ce livre est très bien écrit. Il est basé sur un thème très difficile (la pédophilie sur la toile) mais il est malgré tout écrit de manière poétique. L’enfer que subit l’héroïne est peint d’une façon poignante et réaliste.

Milena Geneste-Mas

(1) Dans le livre, page 56 -(2) Dans le livre, page 43 -(3) Dans le livre, page 61, 76 -(4) Dans le livre, page 81 -(5) Dans le livre, page 81 -(6) Terme de Marc Prensky