Anachroniques

16/06/2013

Le genre du documentaire et l’enjeu de la vulgarisation scientifique

Alors que jusqu’aux années 1960-1970, les documentaires en direction de l’enfance « ne présentaient pas la réalité, mais la racontaient » (1), aujourd’hui, le documentaire traite des choses du monde avec un parti-pris réaliste. S’il reste le parent pauvre du secteur éditorial, le documentaire oscille entre apport informationnel et construction d’une culture. La recherche des créneaux de vente tend à fragmenter les domaines, ce qui est une forme idéologique d’aborder les savoirs. Pour autant, le documentaire est-il le genre de la littérature de jeunesse qui permet le mieux à l’enfant de se saisir de la vraie vie ? Certains le pensent. Pourtant, il peut être aussi le genre du détournement de la conscience des conflits qui structurent le monde et l’ont produit. Surtout, le documentaire échoue à présenter des informations propres à un domaine en lien avec les enjeux sociaux plus globaux. On peut le déplorer mais on peut aussi le mettre en rapport avec une société du fétichisme de la marchandise qui atomise les visions du monde en microscopiques domaines d’intérêt.
A ces questions, il faut ajouter le problème ardu de la vulgarisation scientifique auquel, finalement, le documentaire contemporain peine à apporter des solutions éditoriales.

(1) Escarpit, Denise, La Littérature de jeunesse. Itinéraires d’hier à aujourd’hui, Magnard, 2008, p.332
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 Préhistoire
Grinberg Delphine, Les Tyrannosaures, illustrations de Caroline Hüe, Nathan, collection Kididoc, 32 p. 10€
Voici un très riche volume adressé aux enfants dès 4/5 ans mais qui, à l’âge de 7/8 ans serait particulièrement bienvenu dans les mains des enfants. Une foule d’interrogations trouvent réponses, de mini-histoires racontent la vie de nombreux animaux préhistoriques du temps du tyrannosaure qui reste la vedette du livre. Drôle, documenté, instructif, simple d’accès et varié dans la prestation informative, c’est un petit ouvrage réussi.

Histoire
Harris Nicolas, Dennis Peter, L’Histoire continue, tome 2 – La vie de château, Casterman, 20 pages en accordéon, 12€
Le titre désigne la forme en dépliant du livre qui se retourne. On assiste à la vie d’un château fort, et de son village, à sa prise par des ennemis, à sa reconstruction. L’adulte rétablit aisément la chronologie des événements, mais c’est moins sûr que l’enfant de 6/8 ans à qui s’adresse officiellement le livre accordéon puisse s’y retrouver tout pareillement. En revanche, les enfants aimeront suivre les personnages sur l’image en continue, s’inventer leur propre histoire médiévale grâce à cette forme de livre. Les textes légendaires lui serviront, à 8/9 ans, de support dans cette exploration de l’image et de ses détails.

Auger Antoine, Les Romains, illustrations de Clémence Paldacci, Milan, collection Les grands docs, 2013, 48 p. 9€90
Cette collection, qu’on peut caractériser de parascolaire, est destinée aux 8/12 ans. Le documentaire part de la légende fondatrice pour expliquer l’ordre social, la rivalité avec Carthage, s’appesantir sur la famille, la religion, l’armée et les conquêtes. Une seconde partie interactive interroge le lectorat quant aux jeux, à l’urbanisme, à l’ordre politique, à la problématique civilisation ou barbarie, et s’achève sur la décadence romaine. Un index, un lexique, les solutions des jeux, sont donnés à la fin du livre.

Bousquet-Schneeweis Patrick, Lucie et Raymond Aubrac. A la vie à la mort, Oskar éditeur, collection Histoire société, 2013, 72 p. 9€95
Dans cette excellente collection des éditions Oskar, sûrement la meilleure concernant le genre de la biographie en jeunesse, paraît les vies résistantes de Lucie et Raymond Aubrac. Particulièrement bien documenté, renforcé par un dossier très clair, l’ouvrage est plus un documentaire fiction qu’une fiction documentaire en cela que l’écriture est peu travaillée. La composition du récit, qui suit la chronologie, en revanche, est pertinente.

Peinture
Sellier Marie, 10 Tableaux et un ballon rouge, Nathan, 2013, 48 p. 14€90
Ce type d’ouvrage est particulièrement enrichissant. L’enfant découvre au fil des double-pages, des tableaux de grands peintres : Vallotton, Le Douanier Rousseau, Chagall, Matisse, Picasso, Miro, Léger, Malevitch, Kandinsky, Klee. Il les découvre en y recherchant un ballon rouge qui est le motif assurant l’unité du livre. Les textes, légers, simples, typographiés avec dynamisme s’allient d’abord avec des trous dans les pages laissant apercevoir des détails pour ensuite s’amplifier en un commentaire descriptif. Au final, c’est une invitation au discours qui est proposée à l’enfant car le texte n’est pas clos sur lui-même. Il faut louer ce livre et cette réussite éditoriale de belle teneur culturelle.

Philosophie
Brenifier Oscar, Perret Delphine, Le beau selon Ninon, Autrement, collection Les petits albums de philosophie, 64 p. 13€50
Ce fort volume aborde la difficile question du beau, donc de l’esthétique, pour les enfants dès 9 ans mais aussi pour toute personne intéressée par cette réflexion. Les vingt et une histoires fondées sur le dialogue, présentées sous la forme de bandes dessinées reposent sur une intelligence fine et la clarté de l’écriture servie par la simplicité du dessin. Ce dernier facilite l’accès à la réflexion tout en se gardant de capter l’attention de l’enfant. Il reste alors le texte mis en situation. Même si à la fin, se trouver belle ou beau, « apprendre à voir le beau chez les autres, c’est difficile et ça va prendre du temps », l’ouvrage donne envie de saisir ce temps. Sa composition est ouverte à la patience de la lecture : le livre ne se dévore pas, il se goûte tranquillement en s’arrêtant aux questions et aux réponses qui sont suggérées, mais jamais closes.

Geneste Philippe

09/06/2013

Une anthologie de la fantasy

Nicot Stéphanie (présentés par), Incontournables de la fantasy, Père Castor-Flammarion, 2012, 196 p. 5€50
Langages inconnus, êtres étranges, créature magiques, lieux de nulle part, la fantasy à travers sa version l’heroïc fantasy s’est imposée à la fin du vingtième siècle jusqu’à devenir, aujourd’hui, un pan incontournable de la littérature pour la jeunesse et pour jeunes adultes. Le genre, pourtant, reste difficile à cerner, entre la science fiction où il se réfugia longtemps, le merveilleux et le conte dont il s’inspire sans entrave, et le fantastique qu’il côtoie sans s’y assimiler. Le livre présenté par Stéphanie Nicot tire de cet engouement fin de siècle et de début de siècle sa justification pleine et entière. Rédactrice en chef de la revue Galaxie de 1996 à 2007, soit à peu près la décennie nécessaire à la publication des aventures d’Harry Potter, directrice artistique du festival Imaginales d’Epinal, Stéphanie Nicot a réalisé une anthologie érudite et simple. Elle est partie de l’Antiquité avec un extrait de l’épopée de Gilgamesh (- 3000 avant notre ère) contant l’aventure d’une recherche de la vie éternelle : la fantasy, ou la quête de toute jeunesse, la volonté de résister au temps des âges. L’Apprenti sorcier de Lucien de Samosate (an 120 de notre ère) apporte le personnage du sorcier au genre qui naîtra dix-huit siècles plus tard. Voilà pour les sources livrés dans des traductions prises à des éditions destinées à la jeunesse, ce qu’on peut contester car elles sont une édulcoration des textes.
Puis, on entre dans le vif du sujet, avec Bilbo le Hobbit de Tolkien. On est en 1937, le nazisme règne sur l’Allemagne et menace l’Europe. Le hobbit part à la recherche d’un anneau qui n’est autre que lui-même. S’il découvre le monde, il découvre surtout la sagesse d’y vivre. Le récit est optimiste et destiné à la jeunesse : Tolkien est parti d’histoires qu’il racontait à ses enfants (1) à partir d’un substrat légendaire que l’auteur travaillait par ailleurs en tant qu’universitaire, philologue et traducteur. C’est la première apparition de la terre du Milieu comme univers fermé de la fiction.
Vient ensuite Harry Potter de Rowling publié entre 1997 et 2007, son art du rebondissement, sa conception innéiste de l’humain, le rêve porté par la fantasy depuis Tolkien et Lewis d’une échappée possible du réel. Mais aussi une lecture en négatif de notre société : « Un gouvernement qui ment, des ministres en collusion avec les pires des crapules, une journaliste traînant des réputations dans la boue pour le seul chiffre de tirage de son magazine, de bons bourgeois qui martyrisent un enfant au nom d’une certaine bienséance, des citoyens formés et respectés qui portent cagoules pour des cérémonies d’une secte raciste… », ainsi peut être présenté l’ouvrage (2)
Avec Jane Yolen (1932-), c’est une grande signature de la fantasy américaine que les lecteurs découvrent grâce à cette anthologie. La nouvelle Frère cerf souligne que rien de la vie n’est à l’abri des bruits du monde. Et s’il n’existe pas de lieu protégé, c’est à cause de la nature de l’être humain renforcé dans son égoïsme.
Mais Stéphanie Nicot connaît trop bien l’heroïc fantasy pour ne pas présenter des auteurs français contemporains et un écrivain hispanique que l’on n’attendait pas. Au final, c’est une brève anthologie érudite qui met l’eau à la bouche et fait chausser leurs lunettes aux curieux et curieuses lecteurs et lectrices.
Geneste Philippe
(1) Ruaud André-François, (sous la direction de), Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux, Lyon, Les moutons électriques, 2004, p.120. (2) ibid. p.387.

02/06/2013

conte et savoirs

Weurlesse Odile, Nasredine, illustrations de Dautremer Rébecca Père Castor – Flammarion, 2013, 32 p. + CD (15 minutes) 10€
Odile Weurlesse est l’auteure connue du merveilleux conte africain Epaminondas. En écrivant Nasredine, elle en reprend la thématique, celle de l’apprentissage. Il s’agit ici, à partir d’une situation qui se répète, de l’apprentissage de la vie en public et de la réalisation de soi. Dans ce conte, le père, figure de la stabilité d’un monde social, laisse son enfant faire l’expérience de la vie et n’influence jamais ses choix. C’est donc en éprouvant les réactions des autres que Nasredine apprend comment se comporter en société : il faut se forger son propre jugement, ne aps moduler son comportement d’après le jugement d’autrui. La peur du ridicule est la preuve d’une faillite de sa personnalité, et l’adhésion aux opinions d’autrui une faillite de l’intelligence.
Ce que le conte montre, aussi, c’est que le raisonnement, pour s’installer, nécessite la confrontation avec les autres et que c’est dans la confrontation que l’enfant se construit en tant qu’individu et donc en tant qu’être social ; et non l’inverse.
Ce n’est donc pas le comportement enjoint par la société qui informe l'apprenant, c'est lui qui donne sens à l'information, à partir de ce qu'il fait pour répondre à une situation précise, en accord avec son histoire culturelle, cognitive et affective. Agir dans la société porte le raisonnement à condition que cet agir repose bien sur les choix personnels. C’est la conscience de l’existence des autres et de leurs opinions qui permet de se construire vers la liberté dans un contexte donné.
Ainsi, d’Epaminondas à Nasredine, Weurlesse est passé de la question des savoirs à celle des comportements en société. Dans les deux cas, le conte reprend avec bonheur la thèse piagétienne constructiviste de l’apprentissage. Il faut que l’enfant conçoive un problème pour chercher à y répondre et, cherchant à y répondre, mobiliser du savoir en le construisant. C’est la raison d’être de l’attitude du père. Mais attention, ce dernier n’est aps neutre ou extérieur, il est permissif, c’est-à-dire qu’il est la figure majeure, ici, de l’éducateur : celui qui permet aux expériences de se mener et ressource éventuelle d’une régulation quand les tâtonnements de l’enfant aboutissent à des blessures morales. De par cette attitude, il permet à l’enfant de questionner l’attitude des autres à son égard et face à la situation représentée par le voyage du père et du fils. Or, réussir à poser des questions au monde c’est se questionner soi-même et c’est être conscient d'une recherche de savoir.
Le savoir social ne doit aps plus que les savoirs cognitifs se transmettre par l’injonction, car il relève d’une inscription de soi dans une communauté culturelle. Dans Epaminondas, à la fin de l’histoire, le sorcier dit au garçon : « Ne cherche plus à obéir sans réfléchir. C'est à chacun de trouver comment il doit  agir ». Lors du dénouement du conte Nasredine, le père dit à son fils : « C’est à toi de décider si tu entends des paroles remplies de sagesse ou de sots et méchants bavardages ».
Ainsi donc, Nasredine va grandir  va grandir parce qu'il va chercher. Tant qu'il ne fait qu'imiter ce que l’opinion des autres lui ordonne de faire, il est dans l'échec.
Geneste Philippe