Vides pleins et déliés. Une géographie imaginaire des attachements, St André de Cubzac, éditions Sementes, 2013, 79 p. 6€ (www.editions-sementes.com)
La littérature écrite par la jeunesse existe, quelques œuvres passent la rampe de l’édition. Force est de constater qu’elle reste insuffisamment lue, insuffisamment travaillée pour ce qu’elle donne véritablement à lire. Espérons que le nouvel ouvrage de la collection Jeunes à la page des éditions Sementes dissipera les appréhensions. Il est né d’un dialogue littéraire avec l’œuvre plastique de l’artiste Mireille Togni.
Toute à son œuvre, l’artiste est venue tôt ce matin de mi-septembre 2012, au collège André Lahaye d’Andernos-les-Bains. Déjà en juin, elle avait réalisé les repérages pour les installations choisies. Aujourd’hui, toute à son œuvre, gestes précis, parcimonieux, elle coud, épingle, fixe. Puis elle commence à faire des nœuds entre des fils qui vont et viennent dans une apparente indiscipline. Certains sont promis à venir au sol, d’autres sont relancés vers le plafond de la galerie des arts, avant d’être saisis et noués à d’autres. Les portraits flottant animés par le courant d’air du lieu sans cesse ouvert sur la cour du collège, se familiarisent à l’espace nouveau à eux destinés. Ils s’installent. Non loin d’eux, les lorgnant amusés ou sombres, des portraits-paysages sont déjà en place. Sous les fenêtres, si l’Une / l’Un sont bien campés sur leurs deux jambes, il manque les amers aux masques voguant au fil d’une eau figée, et encore sans leur boussole. Entre le carton débordant d’outils et d’objets d’exposition, une carte broie du noir entre ses routes aveugles. Silencieuse, l’artiste semble parler à ses séries indifférente au va et vient du hall d’entrée qui jouxte son lieu d’installation.
C’est cette patience, celle qui ressort des œuvres, celle de l’installation elle-même, cette lenteur du processus même de mise en place, qui va frapper les élèves. Peut-être est-ce pour cela, grâce à cette œuvre ouverte, que celles et ceux qui l’ont travaillé par l’écriture, ont trouvé, non pas aisément mais avec une curiosité prudente, les mots pour dire l’exposition, pour se dire dans l’exposition : « A raconter peut-être mieux qu'enfouir » (Boris). L’écriture semble avoir amené les élèves à lier une relation interrogative avec ces œuvres changeantes, ondulantes, « tout près de moi / impalpable visage » (Margot P.), quand « La dentelle figée des yeux nous observe » (Sacha). Ils et elles ont cherché, qui la voix de l’artiste , qui une allégorie, qui l’architecture, qui la visée organique de telle série, qui une interrogation sur sa place à l’école et dans le monde, qui un rêve suscité ou rappelé à l’insu de son regard, qui un éclairement du lien humain, qui sa différence, qui une échappée hors du lieu, qui ce qui sépare, qui la limite où se jouent les choix, qui la signification du visage, qui ce qui rassemble les générations. D’autres ont choisi le vent du large, loin des séries pour les aborder par un désir de dire par écrit une réalité souterraine. Une image vient à l’esprit, celle d’un des poèmes : « tu avances sur les cartes sans route / Sans souci tu marches / tu marches sans déséquilibre ». Même dans ce cas, le fil n’est pas rompu avec l’exposition, les mots les renouent, en noir ou blanc, vers l’horizon aperçu durant le cheminement : « A la croisée du chemin des secrets Partagé » (Zoé B.).
Si le recueil Vides pleins et déliés. Une géographie imaginaire des attachements ne livre pas la bonne fortune de la vie, ses poèmes vous souhaitent une bonne lecture, une lecture qui, déliée de l’origine scolaire des textes, saura en appréhender la source poétique humaine. Aux lecteurs et lectrices de savoir lire ces textes sans a priori pour pouvoir se laisser saisir par les élans poétiques qui en disent long sur le rapport au monde des jeunes contemporains avec le monde qui les entoure.
Geneste Philippe