Anachroniques

31/08/2013

Le théâtre est ré-création

DUBILLARD Roland, "Le Gobedouille", avec un Petit carnet de mise en scène de Félicia Sécher, Gallimard-jeunesse, collection folio junior théâtre, 2013, 160 p. 6€30

C’est en 1947 que Roland Dubillard (1923-2011) écrit ses premiers sketches qu’il joue lui-même et qui feront partie des Diablogues . Ceux-ci contiennent aussi de petites scènes radiophoniques drolatiques qu’il interpréta avec Philippe de Cherisey sur Paris-inter de 1953 à 1956. On en retrouve plusieurs dans le livre qui vient de paraître sous le titre Le Gobedouille. Pour en rendre compte, nous sommes allés à la rencontre de la troupe Métamorphose qui joue régulièrement des diablogues de Dubillard. La prestation de cette troupe lors d’une rencontre de théâtre scolaire le 18 juin 2113 à Lanton (Gironde), scolaire avait enflammé la salle des collégiens du Teich, d’Andernos et de Lège Cap-Ferret. Le 4 juillet, la troupe récidivait dans le cadre du festival indépendant de spectacle vivant, « Scènefolies », cette fois-ci devant un public majoritairement adulte, avec un égal succès. C’est Daniel Millo, comédien et metteur en scène, qui nous a reçus.

Entretien avec Daniel Millo de la troupe Métamorphose

-Pourquoi avoir choisi de jouer les diablogues devant les collégiens à la rencontre inter-établissements de théâtre scolaire du 18 juin 2013 ?
Daniel Millo : Le choix des diablogues pour la rencontre des collégiens est d'abord imposé par le besoin de moduler le temps de scène en fonction de la manifestation, et c'est un très gros atout des spectacles à sketches. Ensuite il s'avère que c'est notre travail en cours, le nouveau spectacle que nous avons monté cette année et ensuite, cerise sur le gâteau, les diablogues sont, pour moi, l'illustration parfaite que le texte peut induire des situations inattendues comme support aux émotions qui font vibrer le public.

-Au festival Scenefolies que vous avez organisé, vous les avez rejoués, mais cette fois-ci devant un public de tous les âges. Les considérez-vous comme une récréation théâtrale ?
Daniel Millo : Je dois avouer que je considère plutôt le théâtre comme une récréation dans le sens de créatif, création : au théâtre nous re-créons. Les Diablogues sont forcément une récréation puisqu'ils sont devenus partie intégrante du théâtre et de son répertoire.

-Qu’est-ce qui est difficile quand on monte un diablogue ?
Daniel Millo : La difficulté de monter les diablogues reste toujours de pouvoir projeter sur scène ce que nous à donné le texte en tant que tel. C'est de laisser suffisamment place à la liberté du corps et de l'esprit pour s'abandonner à la folie délirante des mots qui fusent.

-Dubillard soignait-il la mise en scène ?
Daniel Millo : Pour ce que j'en sais, Les Diablogues sont une mise en volume de textes écrits au jour le jour par Dubillard pour une émission de radio des années 50 et qui furent adaptés par ses soins pour la scène en 1975...tout ça pour dire qu'au départ il s'agit de texte faits pour être entendus et non pas vus...Pour ma part je trouve qu'il s'en ressent dans la version "théâtrale" et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité un parti pris résolument physique dans l'interprétation, parfois même jusqu'à l'outrance avec une place importante laissée à l'improvisation : Ce sont quand même au départ des écritures quasi instantanées et quotidiennes, ce qui leur donne aussi leur fraîcheur.

Votre prochain spectacle ?
Daniel Millo : Notre prochain spectacle? Hum ? Je dois bien avouer que, si beaucoup de projets sont en lice, je n'ai cependant pas encore de réponse. Mais des surprises sont en cours...
Entretien réalisé par Philippe Geneste et Annie Mas
juillet 2013


Contact : Dan@theatremetamorphose.metamorphose.org _
Site : www.theatremetamorphose.org

25/08/2013

fiction d’histoire et réalité féminine

HASSAN, Yaël, Mon Rêve d’Amérique. Journal de Reïzel 1914-1915, Gallimard jeunesse, collection mon histoire, 2013, 135 p. 9€50
LASA, Catherine de, Anne de Bretagne, duchesse insoumise 1488-1491, Gallimard jeunesse, collection mon histoire, 2011, 158 p. 9€50
KOENIG, Viviane, Au temps du théâtre grec. Journal de Cléo, Athènes, 468 avant J.-C., Gallimard jeunesse, collection mon histoire, 2013, 143 p. 9€50

Toujours agréable à lire, la collection « Mon Histoire », aux éditions Gallimard Jeunesse, s’est enrichie de trois romans de belle texture où, sous la forme malgré tout artificielle du journal intime trois jeunes filles se confient
Mon rêve d’Amérique, journal intime de Reizel, débute le 29 mars 1914, le jour de ses treize ans, dans son petit village en Russie. La narratrice décrit la dure condition de la communauté juive dans son pays, communauté humiliée, étouffée par des préjugés et des lois racistes. Puis Reizel raconte l’histoire de son exil avec sa mère afin de rejoindre son père et ses deux frères en Amérique, la rupture avec sa terre d’origine, avec sa maison, la douleur de quitter ses amis, ses grands parents, tous ses proches, la traversée difficile d’abord en train jusqu’en Pologne puis si longue et éprouvante en bateau, l’excitation du voyage, les nouvelles rencontres. Puis c’est l’arrivée à Ellis Island, les épreuves humiliantes que subissent les immigrants afin de ne pas souiller la terre d’accueil, les longues files d’attente, les inspections médicales poussées : les personnes malades et contaminées étant rejetées.
Ensuite le journal raconte les retrouvailles avec son père et ses frères, leur douce chaleur protectrice, leur misère aussi, dans ce quartier très pauvre de New York où ils vivent.
Reizel devenue Rose veut réussir, elle travaille l’anglais au point de le parler couramment. Elle réussit brillamment à l’école mais s’ouvre aussi aux autres. Son modèle pour elle est une jeune institutrice qui lui a offert le roman de Harriet Beecher-Stowe, La Case de l’Oncle Tom, qui dépeint avec une grande sensibilité la condition des esclaves noirs d’Amérique. Rose décide alors de se consacrer aux plus démunis. Elle veut devenir institutrice elle aussi.

Dans Anne de Bretagne, Duchesse insoumise, la jeune duchesse Anne écrit son journal de 1488 à 1491. Elle vient de perdre son père et, entourée de conseillers fidèles ou plus ou moins retors, doit défendre la Bretagne contre les assauts du roi de France. Toute jeune adolescente elle doit protéger ses sujets et prendre de bonnes décisions. Elle se confronte aussi à la convoitise de seigneurs puissants qui désirent l’épouser et la spolier de ses terres. Après une guerre sanglante et bien des défaites, elle doit se résoudre à épouser le roi de France.

Au temps du théâtre grec est le journal de Cléo, à Athènes en 468 avant Jésus Christ. La jeune Cléo âgée de 11 ans donne la réplique à son père, comédien de talent qui va jouer Antigone de Sophocle, dont c’est la première représentation. Les cheveux coupés très courts, habillée comme un garçon, Cléo devient le jeune Joulios, neveu du grand comédien, pour se rendre aux répétitions. Joulios a un jeu si parfait, si sensible que le tragédien Sophocle le remarque. Mais lors de la représentation de la pièce, Joulios disparait. La jeune Cléo reprend ses vêtures féminines et coiffe ses cheveux d’un voile. Elle confie toute cette expérience, son exaltation et sa déception devant l’injuste condition des femmes à son ami le papyrus offert par son père pour travailler le grec, et qu’elle a nommé Pétrocle comme l’ami du héros Achille .

Riches de sensibilité et d’expériences fortes, ces trois romans proposent dans leurs dernières pages un glossaire et précisent le contexte historique où se situent les intrigues. Ces trois romans témoignent du courage et de la détermination des héroïnes, offrant des pages stimulantes aux jeunes lecteurs, lectrices. Les diaristes offrent une image active de la femme qui prend en main sa vie. Le support de l’écriture lui-même est l’enjeu d’un détournement. En effet, le papyrus devait servir à Cléo pour travailler le grec ; Anne de Bretagne devait copier des prières sur les feuillets manuscrits délivrés dans le cadre de sa fonction ; quand au cahier de belles pages blanches offert pour son anniversaire, c’est Reïzel qui le transforme en journal intime. Les ouvrages ne magnifient pas sous prétexte de fiction la vie des jeunes filles de ces époques : Cléo ne peut pas intégrer une troupe parce qu’elle est une femme, Anne de Bretagne se voit imposer son ennemi comme époux.
Annie Mas

17/08/2013

Le besoin des marges épouse l'imaginaire de nos vies

Langlois Denis, La Maison de Marie Belland, éditions La Différence, 2013, 141 p. 15€

Par ce texte, Denis Langlois s’engage vers une tonalité littéraire qu’on ne lui connaissait pas. Son écriture douce et son style tendre épousent les confins de l’imaginaire en renouant avec une certaine pureté du récit fantastique. Jusqu’à la fin, le lecteur hésite entre réel et irréel, persuadé qu’il demeure d’une résolution rationnelle de l’histoire. Mais celle-ci ne viendra pas. On referme la dernière page du récit avec un sentiment de lourdeur. Durant les cent quarante et une pages, nous nous sommes laissés porter par un récit agréable à lire, parsemé d’humour, un rien nostalgique pour comprendre, en fin, que la trame est celle de la mort, celle de l’inexistence des quêtes impossibles : « Autour d’eux, rien. La forêt et le vent. » Le roman se passe dans l’Allier, dans une région reculée où le temps semble être suspendu. Le lieu central est un café, les personnages principaux, et, d’une certaine façon ils le sont tous, sont des villageois un rien chauvin. L’intrigue tient dans la curiosité prudente des habitués du comptoir pour une maison où vécut une « fille-mère et, de ce fait, rejetée », Marie Belland qui avait perdu son fils « à la guerre, la dernière ». C’est ce lieu à l’écart qui aurait été investi par un couple d’écrivains sculpteurs disait-on. Mais personne ne les voyait, personne ne les côtoyait. Qui étaient-ils ? Nul ne le savait ni n’avait envie de le savoir. La tranquillité du village était à ce prix, celui de la rumeur en lieu et place de la confrontation aux divergences du réel. On comprend alors, peut-être, que le roman de Langlois est le roman de la rumeur. En elle, le monde s’évanouit en volutes insaisissables et qui veut l’étreindre étreint des fantômes et des oripeaux vaporeux du réel. La composition du récit qui repose sur une succession de stases narratives épouse le rythme fluant de la rumeur. Celle-ci a certes besoin de l’expérience pour prendre consistance mais c’est dans la transmission qu’elle s’accomplit. La rumeur c’est le triomphe de la communication contre la substance du réel, contre la vie vraie des humains. Ce que le récit de Langlois explore c’est ce besoin d’imaginaire qui se love chez tout individu.
Philippe Geneste

10/08/2013

Quand la réalité du monde se fait incertaine

Grousset, Alain, Vertical, Flammarion jeunesse, 128 p. 5€10

Lix, le mystérieux jeune homme du Peuple de la Falaise, les Verticaux, fascine tant Thékla, jeune scientifique, ethnologue, qu’elle en oublie presque la mission que lui a donnée l’industrie pharmaceutique : rapporter du lichen, plante aux vertus médicinales, capable de guérir toutes les maladies existantes. Les deux amants en apprennent chaque jour un peu plus l’un sur l’autre. Lix, qui a compris que Thékla a besoin du lichen, lui dévoile la cachette où elle pourra l’étudier et en cueillir. Projetant leur complicité en vœu de rapprochement de leurs peuples qui s’ignorent, ils s’adressent au conseil des sages des Verticaux. Ceux-ci décident que le Peuple de la Falaise échangerait le lichen seulement contre sa tranquillité. Thékla repart alors mais les deux personnages gardent le contact au moyen de la technologie.
Lix va ainsi apprendre que Thékla a découvert les intentions néfastes du patron de l’industrie pharmaceutique pour laquelle elle travaille : tarir le filon de lichen des Verticaux. Et la répression sur elle s’est abattue. Soumise à la torture, la jeune femme a livré le secret du lieu de la grotte. L’affrontement est inévitable .Toutes les tribus de la Falaise se sont réunies et vainquent les pilleurs de leur sol. Un accord entre les deux peuples est conclu et Thékla a un ventre visiblement assez rond …
C’est un bon livre, une belle histoire sur les rencontres, les différences, qui donne aussi un peu à réfléchir sur le monde d’aujourd’hui : l’écologie, la technologie dans son lien avec les modes de vie. A l’heure où les scandales liés à l’industrie pharmaceutique s’accumulent, à l’heure où des multinationales des médicaments veulent priver des pays pauvres de médicaments génériques contre la maladie du Sida par exemple, le livre devient une allégorie de notre actualité. Ecrit avec un style direct, simple et léger, le roman s’adresse aux enfants de 10 à 13 ans.
Aurélie Arnaud

04/08/2013

Critique de la réalité du temps des divertissements

Jérémy Beschon, Baraque de foire, introduction de Alèssi Dell’umbria, Marseille, éditions L’Atinoir, 203, 86 p.
Jérémy Beschon poursuit son œuvre entreprise avec la comédienne Virginie Aimone, d’une transposition théâtrale d’œuvres de sciences humaines. Le livre proposé par L’Atinoir est leur dernier spectacle, écrit par Jérémy Beschon et joué par Virgine Aimone. La pièce comprend douze scènes. Nous passons d’un plateau télévisuel à un bar en Afrique puis dans un bureau de DRH d’entreprise de sécurité, puis on revient sur ces lieux et on y rencontre le metteur en scène et des professionnels de la culture. Il est question de propagande, d’école qui endoctrine, de colonialisme, de démocratie occidentale en lieu et place de la justice sociale. Mais surtout, il est question de langage. Sur le plateau d’une émission, on parle à l’infini parce que les mots n’engagent à rien ; à l’école la leçon a du mal à être retenue parce qu’elle va à l’encontre de ce que vit l’élève interrogé. Le langage est le marqueur du domaine de la culture que cette pièce explore de manière critique. Or, dans nos sociétés, la culture se donne pour porteuse de démocratie, de liberté, mot immédiatement associé et d’égalité de tous les regards, de toutes les oreilles, affaires de goût nous dit-on…. C’est l’heure du grand divertissement et tout spectacle se doit de se positionner face à cette réalité. C’est ce que fait le texte de Jérémy Beschon. Les dialogues sont âpres, mais grotesques aussi parce que la communication décapée laisser percer la fadeur des mots, l’éviscération du sens mis au seul service de l’utilitarisme entrepreneurial. Des extraits d’un dialogue d’entretien d’embauche illustreront ce propos : « –(…) Jusqu’où pouvez-vous vous reconvertir ? (…) –Je suis polyvalente (…) Je suis polyvalente parce que je crois en la revalorisation des tâches (…) Je crois en la revalorisation des tâches parce que je crois en la parole des experts (…) Je crois en la parole des experts parce que j’ai confiance en l’entreprise ». Tout sonne juste dans ces dialogues, par ce que Jérémy Beschon, les reprend du réel, jouant de leur composition mais point sur leur teneur. Il y a de l’authenticité dans les mots et les phrases de Baraque en foire. On pense à Karl Kraus, pour cette inclusion dans l’œuvre de pans langagiers entiers du réel, mais un Kraus qui aurait le souci du spectateur plus auteur de théâtre que littérateur pamphlétaire en quelque sorte. Le théâtre prend dans ses filets les discours contemporains, il les tisse en une trame qui se resserre au fil du temps de la représentation. L’enfant que l’on voit au début, peinant à se mémoriser une leçon de classe réapparaît à al fin : « C’est l’ultime défense du monde : demander à celui qui refuse l’ordre d’en inventer un autre. On le met face à son incapacité d’action tout en l’empêchant d’agir ». Or, ce que la pièce démontre c’est que « pour celui qui refuse l’ordre », il ne s’agit pas d’invention d’un monde nouveau, « mais bien de destruction » du monde actuel pour que se lève le rideau de nouvelles possibilités de création sociale. Par la pertinence de la composition, par l’intelligence des dialogues, par la richesse des sources qui sont livrées, cette pièce de théâtre pourrait être utilement proposée dans les lycées et tous les lieux de culture soucieux de sortir de la stéréotypie culturelle ambiante.
Geneste Philippe