Virginie Buisson, L’Algérie ou la mort des autres, édition Gallimard, collection Scripto, 2011, 105 pages, 7€ (1ère éd. Collection folio junior 1981)
C’est avec une grande sensibilité que Virginie Buisson raconte, dans son roman L’Algérie ou la mort des autres son adolescence meurtrie dans une Algérie française mourante. L’héroïne qu’elle met en scène est la narratrice de l’histoire et son prénom n’apparaît jamais.
C’est âgée de 11 ans, dans le milieu des années 1950, que la toute jeune fille quitte sa Lorraine tranquille pour, accompagnée de sa mère et ses petits frères, rejoindre le père, gendarme, récemment muté en Algérie. La traversée de la Méditerranée sur le paquebot, passage obligé entre deux terres, marque déjà la séparation entre son enfance libre et paisible et son adolescence tourmentée en Algérie.
A l’arrivée, la jeune fille est attirée par ce pays qui l’accueille, mais c’est une mitrailleuse de l’armée qui les escorte jusqu’à la garnison de Bir Rabalou où la famille s’installe.
La narratrice décrit sa rencontre à l’école avec les jeunes filles berbères, Fatima, Salirha, Khedidja, qui deviennent ses amies, l’accueil des femmes algériennes, les parfums, les couleurs de ce pays. Seulement, fille de gendarme, elle habite une maison « européenne », que se partagent trois familles d’agents de l’état français.
Petit à petit, insidieusement, le racisme, la terreur s’infiltrent. la jeune fille ne comprend pas, mais des tueries répondent à des tueries, attentats et emprisonnements se multiplient. Des caves de la caserne proviennent des bruits de plus en plus insoutenables dont on tait le nom ; ce sont pourtant des cris de torture.
La narratrice ressent « la mort des autres » dans sa chair et de cette souffrance nait une révolte violente contre l’autorité de sa famille et contre toute forme de pouvoir. Dans cette tourmente, sa sensualité s’affirme auprès de jeunes appelés venus de l’Etat français tuer et se faire tuer. Bien qu’on l’enferme, lui fasse subir maintes brimades et humiliations-, elle s’échappe pour des rencontres amoureuses.
Dernière scène, scène de drame, huit années ont passé, l’été 1962 approche.
L’héroïne et Jacques, son jeune amant, courent dans les rues d’Alger en émeute. Un tir, venu d’une voiture, les arrête : devant eux, un petit garçon d’une dizaine d’années au teint mat et aux cheveux sombres, vient d’être abattu. Malgré la somation du tireur : « Laisse le crever, c’est un raton », Jacques s’approche de l’enfant pour le secourir. Il reçoit alors une balle mortelle. Et dans les bras de l’héroïne aux ballerines maculées, à la robe tachée de sang, s’échappe la vie d’un petit garçon et celle d’un jeune homme, tous deux nés en Algérie.
Ce roman est dédié à l’Algérie, à l’amour et la révolte. Son écriture est émouvante et belle, à l’image de ce pays qui en a fait naître la poésie.
Annie Mas
Lucien Touati, …Et puis je suis parti d’Oran , éditions G.P., collection Grand Angle, 1976, 222 p.
Autre roman d’une grande richesse, … Et puis je suis parti d’Oran offre là de belles pages sur le désarroi d’un adolescent face au racisme et à la violence.
En mars 1962, le narrateur de l’histoire, le jeune Lucien, a 14 ans. Avec ses parents, ses frères et sœurs, il quitte sa ville natale d’Oran pour celle de Marseille. Seul, sans ami dans ce nouveau lycée, il se souvient des évènements passés depuis le début de l’année scolaire en septembre 1961, à Oran.
Lucien est d’origine juive berbère, sa famille est ancrée depuis très longtemps en Algérie. Son père, employé à la mairie d’Oran, est adhérent à la SFIO. Ce n’est pas un homme raciste. Sa mère, femme au foyer, est généreuse et pleine de bon sens. L’adolescent est très attaché à sa famille. La ville d’Oran est un vaste refuge, et ses pérégrinations, de l’appartement de ses parents au quartier mauresque, de son lycée à la mer, dessinent un espace de découvertes et de réflexions. Les attentats meurtriers qui, jusque là, parvenaient en lointains échos se rapprochent. Certains de ses amis vont partir. Lucien se sent impuissant, étranger à toute cette violence. Lorsque Claude, son père, est gravement blessé par une arme à feu, le semblant d’insouciance préservé par sa mère est bouleversé.
Lucien est sollicité par un jeune sympathisant de l’OAS qui l’incite à prendre une arme « pour venger son père ». Indigné, Lucien refuse. La famille doit quitter l’Algérie afin que Claude, qui pourtant refusait ce départ, puisse guérir. Seul reste à Oran le grand frère de Lucien, Maurice, son modèle aussi, qui déteste tant les pratiques de l’OAS.
Perdu et seul dans nouveau lycée, à Marseille, Lucien peine maintenant à trouver sa place, à effacer ses angoisses, à retisser son histoire.
Le roman de Touati débute avec le froid ressenti par Lucien à son arrivée à Marseille, celui de Virginie Buisson se clôt par le froid qui accueille l’héroïne à son retour en France.
Ils ont froid pour leurs jeunesses bafouées, froid pour toutes les morts dont ils furent témoins pour une guerre qu’ils ne comprenaient ni ne voulaient.
Ils ressentent le froid des rescapés que le futur effraie, le froid de ceux qui ne trouvent leur place nulle part… Comment survivre et se construire après voir frôlé, pleuré, après avoir connu la mort des autres ?
Annie Mas
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Nozière Jean-Paul, Un été algérien, Gallimard jeunesse, collection Scripto, 2012 (1ère publication en jeunesse 1993)135 p. 8€
Voici un texte accessible pour les divers appétits de lectures des préadolescents, qui raconte l’Algérie de 1958. C’est un roman documenté et respectueux.
De Gaulle vient d’arriver au pouvoir. Aux environs de Sétif, une ferme, deux familles : celle d’un petit colon, Barine, aux idées vaguement libérales et celle de ses ouvriers arabes, les Bellilita, dont le fils Salim allait –jusqu’à cette date et avec ferveur- au lycée avec son copain Paul Barine, comme lui âgé de quinze ans. Parce que la situation se durcit, que la guerre s’amplifie, le colon met fin à ce privilège. Ceci provoque chez Salim la prise de conscience de sa situation réelle et l’amène à choisir son camp, celui du FLN et de l’ALN dans les rangs de laquelle il s’engage en même temps qu’il voit mourir son amitié pour Paul. La narration est censée être faite par Salim.
Le livre permet d’exhumer les ambigüités du statut des colonisés (algériens, alors que l’on parle pour les colons de français d’Algérie), d’élucider les liens entre oppression économique, dépossession de la langue, dépossession de la terre ce qui ouvre à la thématique du déni d’identité.
Tout le récit est un récit rétrospectif placé sous l’éclairage d’un premier chapitre désenchanté, « Ma guerre, je l’avais gagnée et perdue durant l’été 1958 » narre Salim page 11. Par la construction narrative, J.P. Nozière donne à son roman respectueux des sensibilités et de la vérité historique, une signification tragique. La colonisation détruit tout, surtout l’avenir et les valeurs de la guerre ne sont jamais le vecteur d’un accomplissement de la liberté humaine.
Texte repris de l’analyse de Liliane Fontan
« Parce que nous avons mal à l’Algérie », La Tache d’encre, n°63/64, mars 1998, pp.49-52