Anachroniques

27/12/2012

Les vies imaginaires de la fiction

Beecroft Simon, Star warm. Les héros de la saga, Nathan, 2012, 208 p. 15€90
Hidalgo Pablo, La Menace fantôme 3D, traduit par Alain Clément, Nathan, 2012, 64 p. 10€
Windham Ryder, Star Wars. L’encyclopédie absolue. Nouvelle édition enrichie, actualisée par Dan Wallace, Nathan, 2012, 200 p. 24€90
Une biographie de chaque personnage principal de la saga, avec ses fonctions dans l’histoire, les événements où il est impliqué, sa vêture et les accessoires qui le parent, son portrait physique et moral, et parfois davantage. Un index général des personnages par ordre alphabétique. Bref, un guide indispensable de deux cents personnages recouvrant les six films. Nathan propose, dans la foulée, le premier épisode en format italien avec des lunettes 3D pour accompagner le maître Jedi Qui-Jon Jinn, Anakin Skywalker et la reine Naboo qui subit l’invasion séparatiste.
Avec la réédition (40 pages en plus) de L’encyclopédie absolue, la saga de Georges Lucas est décortiquée, inventoriée, expliquée. Lucas, né en 1944 en Californie, est un des pionniers du cinéma indépendant. Sa puissance inventive pour les effets spéciaux va révolutionner le cinéma de divertissement. Il a fondé la société Industrial Light & Magic pour réaliser les effets spéciaux de ses films. On apprend beaucoup sur la collaboration du consultant artistique Ralph McQuarrie pour tout ce qui concerne le graphisme, des story-boards sont exposés, la conception des costumes est abordée, les trucages font l’objet de nombreux développements. Les premiers chapitres sont consacrés à l’étude du monde de Star wars, aux galaxies, à la République galactique, les guerres mandaloriennes, la grande guerre des Sith, la République corrompue, la montée des séparatistes, l’armée clone, la tragédie sur Tatooine, la bataille de Géonosis etc. Nul doute que ce livre de grand format (31 x 26,3) ravira les adeptes de la saga, nul doute qu’il entraînera les moins avertis vers un monde à découvrir et qui a ravi l’imagination de millions de spectateurs de par le monde. L’encyclopédie absolue énumère à la fin les prolongements de la saga dans l’industrie des jouets, de la nouvelle technologie etc.

Chaine Sonia, Mythes et arts. Les super-héros au fil du temps, Milan, 2012, 52 p. 17€90
Le livre parle de mythologie (récits légendaires qui donnent sens au monde et à la vie), d’icônes du vingtième siècle, de civilisation amérindienne, japonaise, grecque, romaine, égyptienne ; il nous parle de la Renaissance, du rococo, du classicisme ; il nous parle de sculpture, de peinture, ‘illustrations et gravures. On y rencontre Gilgamesh, Isis et Horus, Ulysse et Jupiter, Neptune, les chevaliers de la Table ronde, Xiuhtecutli, Vénus, Narcisse, Adam et Eve, Bacchus, Bahram Gur, Samson, Faust, Zhong Kui, Enée, Apollo,, Alice, Don Quichotte, Gargantua, Shnago, Cupidon, Héraclès, Icare, Nevimbumbao, Superman, Che Guevara, Marilyn Monroe, Einstein, David…
Après l’exceptionnel Besti’Art, chez le même éditeur, Sonia Chaine signe un nouvel opus très stimulant qui fouille le patrimoine culturel humain, même si l’occident y est surreprésenté. L’iconographie de grande pertinence, le grand format à l’italienne avec des pages qui se déplient, offrent un confort de lecture qui font de Mythes et arts un beau livre cadeau.

L’Encyclopédie des héros, icônes et autres demi-dieux, Gallimard jeunesse, 2012, 128 p. 19€95
Ecartons tout de suite une critique inévitable : c’est incomplet. Ceci dit, il n’y a dans cet ouvrage dit encyclopédique que : Gilgamesh, Ulysse, Hercule, Antigone, Aphrodite, Sindbad le marin, le roi Arthur, la fée Mélusine, Robin des bois, Don Quichotte, d’Artagnan, Robinson Crusoé, Blanche neige, père Noël, Sherlock Holmes, Peter Pan, Tarzan, Zorro, Tintin, Bilbo le Hobbit, Superman, James Bond, Luke Skywalker, lieutenant Ripley, Harry Potter, Et à travers eux, sont évoqués un nombre important d’auteurs et créateurs ce dont atteste les quatre pages de l’index. Une bibliographie précise sur chaque héros ou héroïne, complète le livre qui s’ouvre avec une préface intelligente.
Donc, incomplet, certes, mais toutefois intéressant. Il s’agit de héros qui drainent l’imaginaire populaire occidental. C’est d’ailleurs le seul reproche à faire : le titre aurait dû le préciser plutôt que de faire de l’occident le tout du monde. Ils sont attachés, aujourd’hui à des images. Ils mettent en scène des émotions universellement connues mais aussi des valeurs propres à l’univers occidental de conquête pétri de conception innéiste de l’humain. Souvent, on ne connaît pas les œuvres originelles de leur création, et pourtant, on peut parler de ces personnages. Le livre revient sur les origines de chacun et chacune.
Le livre est, ainsi, une initiation à la littérature et à l’histoire des arts. Plus, il est un approfondissement de la connaissance de l’imaginaire dont Watthee-Demotte et Deproost définissent comme le : « le réseau interactif des représentations mentales nourri par l’héritage mythique, religieux et historique et par l’expérience vécue. Constamment réactivé dans les productions culturelles, ce réseau constitue un système dynamique qui se superpose au réel pour lui octroyer des structures signifiantes au niveau de l’interprétation individuelle et collective » (1).
Ecrit de manière alerte, à plusieurs plumes, illustré avec humour, L’Encyclopédie des héros, développe une facette nouvelle de la littérature de jeunesse, que l’on rencontre dès les albums, celle de l’explicitation des références et de l’intertextualité des productions proposées au jeune lectorat.
(1) présentation de la collection « structures et pouvoirs des imaginaires » où est paru le livre Déom Laurent et Tilleul Jean-Louis (sous la direction de), Le Héros dans les productions littéraires pour la jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2010, 205 p.
Geneste Philippe

15/12/2012

Cartographie des voyages imaginaires

Jarrie Martin, Rêveur de cartes, Gallimard jeunesse-Giboulées, 2012, 60 p. 20€
Edité en grand format (275x335), la géographie humaine de Martin Jarrie convoque des espaces imaginaires auxquels il réfère des histoires de création ou de mœurs, qui interrogent nos modes de vie.. Le lecteur est appelé à découvrir seize lieux : îles, cités, territoires, archipels, villes, plaines…A chaque fois tout commence par un dessin représentant le dit lieu, page de gauche. Suit, page de droite, un texte racontant les origines écrit, parfois par le découvreur supposé. On tourne la page et la double page qui se présente offre un ensemble d’illustrations précises sur l’espace imaginaire à se représenter. Les textes sont courts, mais essentiels à la lecture car les illustrations qui les nourrissent, en même temps en sondent la teneur. Le graphisme parfois naïf est toujours abstrait. Les clins d’œil et renvois à d’autres œuvres sont légions. Il ne fait pas de doute que l’album gagne à être lu avec un adulte voire à être étudié pour mettre à jour tout l’intertextualité. Ces planches documentaires appartiennent à un cabinet des curiosités dans un musée du rêve. Comme on va d’un lieu à l’autre, on peut dire que le livre des cartes de Martin Jarrie est une invitation au voyage. Mais quel voyage ?
Un voyage imaginaire. Certes. Mais qu’est-ce à dire ? Eh bien, disons, une déambulation dans l’espace, un espace mental, graphié, tracé, dessiné, décrit, qui prend consistance en représentation et où on fait habiter des êtres, graviter des objets, pousser des plantes rares. Les lieux sont nos passages, ils n’existent que parce qu’on les traverse, que parce qu’on s’y pose, qu’on y habite ou que des humains y habitent et que les livres nous le font savoir. Les illustrations sont des méditations sur les lieux ; les textes en sont une explication, une description. Dès lors, Rêveur de cartes se présente plutôt comme une promenade qui « favorise cet état de concentration non concentrée » (1), qui exclut l’agitation mais ouvre à la pensée. Le genre même de l’album favorise cet état d’esprit car on y va et vient, de l’illustration au texte et retour, de l’illustration à une autre puis de ce lieu évoqué à un autre….
Nul doute que la déambulation de Martin Jarrie est un « indice des affinités qui nous unissent, et invite à d’autres découvertes communes », dans un prochain album, peut-être.
Geneste Philippe
(1) Joël Cornuault, Géographies humaines et autres textes, Bassac, Plein Chant, 1985, 86 p. – p.11

09/12/2012

La littérature face au programme “Lebensborn”

Cohen-Scali Sarah, Max, Gallimard, collection Scripto, 2012, 480 p. 15€90
On est en 1936, à Steinhöring, en Bavière, dans le premier foyer du « programme Lebensborn », initié par les services de Himmler. Des femmes sont sélectionnées par les nazis pour y mettre au monde des enfants de « race aryenne pure ». Le troisième Reich rêve de régénérer l’Europe par l’eugénisme et la sélection des embryons.
Le narrateur n’est pas encore né quand il commence son récit. Il doit voir le jour le 20 avril, jour anniversaire du Führer. Déjà, dans le ventre de la mère dont la fonction est celle de mère porteuse, il a enregistré, selon la doctrine innéiste de strict héréditarisme des théoriciens développant les idées de Galton, l’idéologie nazie. Le dispositif narratif peut ainsi permettre au lecteur d’identifier le travail de l’idéologie.
Quand il naît, il sera appelé Konrad, séparé de sa mère biologique pour être offert par adoption à un haut dignitaire nazi. Mais Konrad est rétif à toute adoption et il grandit sous la discipline de fer du foyer du Lebensborn. Alors qu’il n’a que quatre ans, il est utilisé comme appât dans le programme d’aryanisation des enfants polonais. Il dénonce, il trahit, répondant aux demandes qui lui sont faites.
A six ans il séjourne à Kalish, une école où sont germanisés les enfants kidnappés. Là il rencontre Lukas qui le fascine par sa stature aryenne et sa violence. Mais Lukas est juif, il se joue des allemands. Konrad se prend d’amitié pour lui. C’est la première fois qu’il ressent ce sentiment de lien qui le lie à un pair. On est à peu près à la moitié du roman. C’est le début d’une sorte d’auto-analyse à travers les actions qui font le livre et qui nous mènent en 1945, à la neuvième année de Konrad, l’orphelin. Car ce pourrait être la tension dramatique qui sous-tend la fiction historique de Cohen-Scali : le parcours désinitiatique de Max, de l’éduqué nazie à l’orphelin initié par le lien d’empathie à la rébellion. Le lecteur est ainsi amené, lui-même à déconstruire la rationalité formelle de l’idéologie nazie, raciste, en suivant un destin individuel façonné par les réactions aux événements historiques à l’intérieur desquels se meut le héros.
Cohen-Scali écrit dans un langage brutal, qui suit le développement de Konrad, assurant ainsi un effet de vraisemblable qui donne force au récit. Les scènes de violence sexuelles, décrites par l’enfant qui voit, sont dérangeantes, mais là encore, Cohen-Scali ne déroge pas à la cohérence du vraisemblable porté par la narration. Il n’y a aucun penchant à jouer avec le scabreux comme certains l’ont reproché à l’auteur, mais une juste volonté de réalisme. Pour son premier roman historique, l’auteure s’adresse aux jeunes adultes plutôt qu’aux adolescents. Elle a visiblement accumulé une riche documentation durant plusieurs années avant que ne commence la rédaction à proprement parler qui lui a pris dix mois pleins. Ce récit appartient ainsi à la meilleure catégorie des romans historiques, ceux où l’Histoire présente un matériau consubstantiel à la fiction. De plus, la fin euphorique, dans la rébellion, n’est pas une clôture de l’histoire, mais plutôt un appel à la réflexion pour le temps présent. L’emploi du temps, le présent, utilisé pour la narration y concourt, surtout que le récit suit l’ordre chronologique. Ainsi, le lecteur éprouve autant qu’il épouse la sensation subjective du temps.
Max est un livre rare, car le sujet de l’eugénisme est rarement abordé en fiction. L’auteure apporte une précision et une rigueur narrative, qui élève le roman au dessus des rares autres récits ayant voulu aborder la question. La dextérité du traitement du genre littéraire choisi place Max en décalage par rapport aux romans historiques (1) écrits à destination de la jeunesse. En cela, c’est un chef d’œuvre du genre.
Geneste Philippe
(1) Sur le roman historique voir Geneste Philippe « Le roman historique pour la jeunesse », dans Escarpit Denis, La Littérature de jeunesse, Itinéraires d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard, 2008, pp.416-426

01/12/2012

Au fond des poches percées, vit la littérature

Renaux Lise, La Fabuleuse aventure de Frida Cabot, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Voici une nouvelle auteure en littérature de jeunesse. Son premier livre est réalisé à partir de compositions cousues mains qui servent d’illustrations à un récit humoristique et tendre.
Frida Cabot, n’est pas peintre, c’est une petite chienne qui ne veut pas que sa maîtresse l’habille. Ainsi, est mis à distance l’anthropocentrisme courant en littérature de jeunesse. Alors, Frida va courir les rues et tomber sous le charme de deux voisines qui rapiècent de vieux chiffons. Il est vrai que Frida n’est qu’une illustration en tissu ramené à la surface plane d’un livre. Mais jusqu’au bout, elle refusera d’être autre chose qu’une petite chienne.

LeBlanc Catherine, Le Goût d’être un loup, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Un loup veut devenir autre chose qu’un loup. Alors, au gré des rencontres, il va imaginer des métamorphoses : coq poisson, mouton, oiseau, chevreuil, chat. Mais d’autres rencontres vont le faire changer d’avis et le loup restera loup. L’autrice accompagne graphiquement son texte par des calligrammes, en reproduisant des empreintes d’animaux. Au final, c’est encore un livre sur l’identité animale, cette fois-ci sauvage, écrite blanc sur noir.

Boucher Michel, J’en ai assez, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Un illustrateur aguerri, s’amuse à raconter une histoire selon un procédé quasi oulibapien… on pourrait dire, aussi, oubalipien. En effet, de page en page, c’est le même dessin qui est reproduit, mais avec, à chaque fois, un détail nouveau (oubapo). Ce détail est en lien avec l’introduction d’un mot nouveau à la fin de chacune des pages qui sert de sujet à la page suivante (oulipo). Au fil du livre la structure syntaxique est identique et le sujet de la phrase est indifféremment un être animé ou une réalité non animée. C’est un régal, d’une grande drôlerie assise sur la figure rhétorique de la répétition.

Geneste Philippe

25/11/2012

Du livre animé au pop-up, ou de la lecture enchantée

La France est désormais le pays où le livre pop-up est le plus développé chez les éditeurs (1). Le mot pop-up apparaît en 1930 dans la bouche de l’américain Harold Lentz. L’impérialisme américain aidant, le mot a remplacé le groupe nominal livre animé qui, pourtant dit mieux de quoi il s’agit. Dans les années 1950/1960, la Tchécoslovaquie avec l’œuvre de Vojteh Kubasta est pionnière –si on excepte les livres de la fin du Moyen âge où on peut trouver l’origine même du livre animé. Mais c’est aux USA que va se développer une école d’ingénierie du papier dont sortiront David Carter, Robert Sabuda. Les éditeurs français vont alors s’intéresser au secteur. En 2002, se tient la première exposition française consacrée au genre.
Avec le livre animé, le terme de volume pour désigner un livre prend tout son sens et l’enfant le saisit tout de suite. Le livre animé met l’accent sur la matérialité du livre. C’est une dimension spécifique de la lecture que l’écran est incapable d’intégrer. Il rappelle, aussi, que la lecture est une manipulation de textes imprimés. Dans le magazine M que nous citions, Lo Monaco se plaignait qu’il n’existât point d’imprimeurs en France pour ces ouvrages, qui nécessitent des heures de pliage, des centaines de points de colle. Ils sont tous imprimés en Asie et il semble qu’aucun collectif d’imprimeurs n’ait pu se constituer en France pour cet ouvrage d’art.
(1) Voir M Le magazine du Monde, 3/12/2011 pp.74-76
*
Tamarkin Annette, Grand-Petit, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2012, 22 p. 15€70
Ce livre pop-up, livre animé, a pour but d’apprendre aux enfants à différencier le grand du petit. Conçu par double page, il présente des scènes qui se renversent dans la double page suivante : ici, un oiseau géant tient un œuf minuscule, la double page suivante, l’oiseau a disparu, on ne voit plus que l’œuf géant.
Tous les dessins sont extrêmement stylisés, si bien qu’il n’est pas si facile que cela d’identifier les animaux et les objets présentés. Sous prétexte d’image, la littérature de jeunesse livre comme évidence ce qui ne l’est pas nécessairement. C’est donc le commentaire de l’adulte lisant le livre avec l’enfant qui donne son intérêt au livre en lui garantissant une pertinence de lecture. Laissé seul face aux images, l’enfant serait perdu et le livre ne serait qu’un écran aux alouettes, si on veut bien accepter cette image.

Tamarkin Annette, Oh les bébés !, Gallimard-jeunesse, - Giboulées, 2012, 22 p ; 15€70
Un cœur, un rond, une fleur, un nounours, ce sont les motifs qui se dessinent sur les doubles pages en pop up représentant un bébé en pleine joie, un bébé noir, un bébé blanc, un bébé déguisé, habillé, jamais tout nu, et qui saute, tend les bras pour quoi ? Un câlin ? Un bisou ? Pour être transporté dans les airs, dans les bras ? C’est un livre joyeux, gai, dont les couleurs illuminent le regard, suscitent le rire, le sourire, invitent à l’historiette que se plaira papa ou maman à raconter, à susciter ?

Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 1 Mimiques comiques, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ; Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 2 Jolis monstres, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ; Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 3 Animaux dingos, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ;
C’est une collection nouvelle de pop-ups interactifs à composer soi-même grâce à des planches de gommettes autocollantes repositionnables. Ces gommettes représentent des nez, des bouches, des accessoires, des symboles amusants, des yeux. Les volumes simples des pop-ups correspondent bien à l’âge visé : 3 ans. Le déplacement des gommettes permet aux enfants de recomposer à l’infini les visages et s’en amuser, du réalisme au fantastique, de la vache à l’extraterrestre, c’est une large gamme de figures à fabriquer qui s’offre aux enfants.

Dieterlé Nathalie, Grosse peur, illustrations Patricia Berreby, Casterman, collection Drôles de têtes 2012, 12 p. 12€50 ; Dieterlé Nathalie, Fais pas cette tête !, illustrations Patricia Berreby, Casterman, collection Drôles de têtes, 2012, 12 p. 12€50
Il s’agit d’un livre pop-up gai, aux couleurs vives, que l’enfant peut porter grâce à une poignée. On a particulièrement apprécié Fais pas cette tête ! qui repose sur des onomatopées ce qui sied parfaitement aux images. Grosse peur met en scène des monstres et des sorcières, bref, la peur.

Pennac Daniel, Les Dix Droits du lecteur, pop-up de Gérard Lo Monaco, Gallimard jeunesse, 2012, 40 p. 19€90
La liste imprescriptible des droits du lecteur et de a lectrice, que l’on doit à Daniel Pennac, se trouve réactualisée par l’interprétation en pop-up de Gérard Lo Monaco. Ce designer papier, décorateur au théâtre, marionnettiste, graphiste et même éditeur, a choisi d’abord la couleur et un graphisme enfantin aux motifs eux aussi enfantins pour évoquer des œuvres patrimoniales de la littérature mondiale. Au droit de ne pas lire, Lo Monaco oppose le droit de jouer ; au droit de sauter des pages l’évocation de contes ; au droit de ne pas finir un livre Robinson Crusoé de Defoe ; au droit de relire, Le livre de la jungle de Kipling ; au droit de lire n’importe quoi, Shakespeare, Goethe, le théâtre en général ; au droit au bovarysme, des histoires animalières ; au droit de lire n’importe où, l’univers de la fête foraine à moins que ce soit Pierrot mon ami de Queneau ; au droit de grappiller, l’art du cirque ; au droit de lire à haute voix, Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, au droit de se taire, rien. Cette énumération suffit à montrer qu’il n’y a pas de correspondance à proprement dit et que l’interprétation de Lo Monaco n’aidera guère le lecteur. On est dans une fonction d’illustration divertissante sans propos particulier. C’est un peu dommage, car la facture éditoriale est attirante, le livre objet tentant à saisir.
Geneste Philippe

18/11/2012

Contes des animaux en voyage




Morel Fabienne et bizouerne Gilles, Les Histoires des musiciens de Brême racontées dans le monde, Saillard Rémi, Syros, collection Le tour du monde d’un conte des petits, 201263 p. 15€

Quatre histoires d’animaux en voyage sont racontées, l’une d’Allemagne, celle qui est la plus connue, probablement parce qu’elle a bénéficié d’une diffusion écrite avec les frères Grimm, l’autre de France (Ariège), une de Chine et la dernière du Maroc.
Dans sa très précieuse postface, Josiane Bru explique que ces contes relèvent d’un même motif : des animaux sont en déplacement. Ils cherchent alors un refuge où passer la nuit. Le voyage et le séjour nocturne sont ainsi une constante à travers les quatre versions proposées. Ils nous racontent, non sans cruauté la vengeance des faibles sur les forts ou bien font l’apologie de la ruse. La spécificité reste toutefois qu’il n’y a pas qu’un seul personnage héros, mais un groupe de personnages. En cela, le recueil Les Histoires des musiciens de Brême peut être lu comme un recueil de contes sur la solidarité. C’est la version allemande et la version chinoise, La Terrible Manguse, qui vont le plus loin sur ce thème.
Se raccroche à la solidarité, le thème de la liberté : les animaux souvent partent pour échapper à de mauvais traitements et jouir de la liberté. Mais la vie leur apprend que la liberté ne s’exerce pas en solitaire, qu’elle a besoin de la solidarité pour advenir et se réaliser. C’est pour cela, sûrement que dans trois des contes, ici réunis, il n’y a aucune hiérarchie entre les animaux en fugue. C’est d’ailleurs un autre thème : si les protagonistes fuient, très vite, ils s’organisent et leur périple devient un voyage.
Il y aurait sûrement à s’interroger sur l’installation finale. Dans Les musiciens de Brême, les quatre compères s’approprient la maison des voleurs où ils mènent désormais une vie libérée : « ils dansent, ils chantent, ils rient. Ensemble, ils jouent jusque tard dans la nuit ». Dans La Terrible Manguse, les sept compères apportent leur aide à la « petite mamie » qui, en échange leur offre des crêpes. Mais après, la mamie et les sept protagonistes vivent ensemble sous le même toit. Dans Les neufs loups (Ariège), le chat et le mouton ont expulsé les ogres loups de leur repaire pour en prendre possession. Dans ce conte, la seule raison du voyage commun est la conquête d’un lieu de vie au détriment de quelqu’un. Dans Le mouton, le lévrier, l’âne et le poulet (Maroc), les héros fuient la maltraitance puis se défendent contre les prédateurs qu’ils tuent si la nécessité l’oblige. Eux ne sont pas motivés par l’accaparement d’un lieu. Mais leur action va entraîner la solidarité des hommes d’un caravansérail auxquels ils vont se joindre : la liberté continue conquise par la solidarité.
Au fond, Les Histoires des musiciens de Brême raconte la conquête de la liberté par les exploités usant de l’appropriation de leurs vies par l’expropriation des nantis et des exploiteurs.

Geneste Philippe

11/11/2012

Le chant d’amour et de révolte contre l’oppression

Guignard Rose-Esther, Tézin, le poisson amoureux, illustrations de Robin Grolleau, bilingue français / créole (Haïti), L’Harmattan, 2012, 24 p. 7€50
Ce conte d’Haïti raconté par Rose-Esther Guignard, est un chef d’œuvre de sensibilité. L’histoire est simple : Mélina, une jeune fille de corvée d’eau fait tomber sa bague, don de sa grand-mère, « au plus profond de la rivière, là où les yeux ne peuvent plus rien voir ». Elle pleure. Un poisson « étincelant de mille couleurs », s’approche du rivage et va rechercher la bague, puis, prend la calebasse pour la remplir de l’eau la plus pure, celle qui court au plus profond, là où les yeux ne peuvent plus rien voir. Il s’appelle Tézin. On y reconnaît la force sacrée de l’abîme autant que le symbole de la fécondité et de la sagesse puisque, retrouvant la bague, il permet à Mélina d’assumer sa filiation et ainsi de garder ouverte la possibilité de la perpétuer. On ne peut toutefois s’arrêter à cette seule interprétation. En effet, le poisson est ici, aussi, une figure de l’enfance, longtemps considérée comme un non-sujet pour la société, qui cherche à devenir sujet dans le monde et qui, pour cela, noue conversation avec Mélina et partage avec elle l’espérance d’un accès à l’air libre du monde.
Mais l’histoire d’amour qui naît va être contrariée par la jalousie du frère de la jeune fille. Celui-ci, qui ne trouve que de l’eau trouble lorsque ses parents lui confient la corvée d’eau, va épier sa sœur et découvrir son secret. Ecoutons le récit de la jeune fille :
« Sitôt arrivée, je me suis penchée vers la rivière et je me suis mise à chanter de ma plus belle voix. L’eau s’est agitée, elle a tourbillonné et, du tourbillon, le merveilleux Tézin a surgi. Ses écailles brillaient au soleil et des milliers d’étoiles parsemaient son corps. J’ai retroussé ma jupe et j’ai pénétré dans l’eau. Le poisson m’a embrassée longuement, je l’ai cajolé et nous avons chuchoté des secrets. Puis, Tézin s’est emparé de la calebasse, il a plongé dans la rivière, il est remonté à la surface pour me la tendre ».
Tézin est averti de la présence de Mélina par un chant (« Tezen, mon ami mwen, Zen / Tezen nan dlo / Mon ami mwen, Zen »). Si le poisson parle, en revanche, c’est par les tâches de sang qui apparaîtront sur le sein gauche de Mélina qu’il l’avertira d’un danger. Car il connaît le danger que représente la convoitise des pêcheurs.
Le père, guidé par le frère imitant le chant de la comptine mélodieuse de Mélina au bord de la rivière, va tuer le poisson de son couteau. La jeune fille, alors envoyée au marché pour vendre des fruits et des légumes, va sentir son sein se perler de trois gouttes de sangs. Elle comprend alors qu’un malheur est arrivé. Elle court chez elle et là, voit ses parents et son frère attablés, dégustant du poisson et l’invitant à venir déglutir son amoureux. Mélina va s’enfuir à l’écart des siens. Elle s’interdit de consacrer la mort de ce qui l’a faite naître à elle-même. Ses larmes vont inonder la terre, qui va peu à peu l’engloutir. La dernière image est un paysage sombre où coule l’eau pure d’une rivière souterraine baignée par le reflet de la lune : « A jamais j’ai pénétré dans le ventre de la montagne pour rejoindre Tézin, mon amoureux, le Prince des eaux douces ».

            Raconté à la première personne, le conte prend une coloration de confidence intime qui renforce la sensualité du récit. On repère aisément l’intertextualité des légendes du moyen âge, le rouge du sang sur le blanc qui apparaît comme par magie ; on repère aussi le thème inversé des ondines et la symbolique du poisson que l’on pourrait, ici interroger. Ce n’est pas un héros faible, mais sensible, c’est un poète qui aime le chant, il est généreux. Son sentiment amoureux lui permet de vivre grâce au sentiment réciproque de Mélina. C’est ensemble qu’ils s’accomplissent, donc, d’où leurs retrouvailles tragiques au royaume de la douceur. L’amour est dépeint comme une fuite, et les valeurs des amants magnifiques s’opposent du tout au tout à l’avidité des hommes (mère, père, frère).
Ici, pas de sorcier, pas de sortilège, pas de métamorphose : le monde est tel, comme à l’aube de l’humanité, la connaissance s’y construit par le dialogue entre les éléments, par une connivence de l’homme et de la nature qui parlent encore un même langage. La fin dysphorique du conte déplairait à Bettelheim. Mais il marque pourtant une problématique rigoureuse où l’espoir naît là où il y a refus de l’accommodation aux modes établis : le passage d’un monde à l’autre s’opère sans solution de continuité, c’est-à-dire que c’est insensiblement que Mélina rejoint le monde des profondeurs où l’eau et la terre s’épousent. La figure de la lune intégrée par Robin Grolleau est là pour figurer une victoire de la fécondité sur la consommation mortifère. Les symboles de l’homme et de la femme sont eux-mêmes interchangeables si on suit l’attribution des termes des champs lexicaux de l’amour. Ainsi, le conte réussit à parler de l’amour sans passer par les fourches caudines des stéréotypies de genre où renaît toujours le thème de la domination. Et c’est l’amour qui peut permettre la réalisation de ce grand rêve humain d’une harmonie hors hiérarchie entre les êtres.
Enfin, il faudrait s’interroger sur le rôle du langage dans Tézin, le poisson amoureux. Seul le langage secret, chuchoté, murmuré, ou chanté mais contenant une clé d’interprétation (donc secret), bref, seul le langage vécu dans son intimité linguistique propre a valeur de lien, est en mesure de faire se correspondre des êtres, d’assurer les correspondances entre ce qui est séparé. L’autre langage, le langage social, celui par lequel on apporte le réel (le frère rapporte à ses parents), le langage de la communication est négatif. Le langage vaut par sa charge émotive, par ce qu’il ouvre en actes de vie. Il ne vaut pas par sa dimension de normes, d’arbitraire social. L’usage du langage ne doit jamais perdre de vue sa motivation. C’est elle qui constitue l’énergétique des conduites verbales. Le conte le montre et il montre, aussi, que la connaissance –connaissance de soi, ici, découverte de l’amour- donc la compréhension du monde, de l’autre, élargit le champ d’exploration de la motivation. L’affectif et le cognitif sont à la fois inséparables l’un de l’autre et irréductibles l’un à l’autre. La fin dysphorique du conte souligne l’échec de cette unité dans une société de la convoitise, mais il ouvre à la révolte contre l’oppression en intégrant le chant d’amour au plus profond de la terre où court la rivière, là où les yeux ne peuvent plus rien voir : écouter attentivement pour comprendre et s’ouvrir au monde.
Geneste Philippe

04/11/2012

Attrape le dernier nuage !

BINET Juliette, Un Courant d’air, éditions Le Rouergue, 2012, 14 p. accordéon 3 mètres, 17€
                De 4 à 144 ans
Après L’Horizon facétieux paru en 2011 chez Gallimard, Juliette Binet explore le monde impalpable de l’air. Avec la toujours même délicatesse, le livre ne se délie pas en horizon mais, au contraire, pour former un cercle, l’image finale devant être rattachée à l’image prime qui ouvre le livre objet. Car, c’est le dessin qui fait du livre un livre objet, sans parole, sans écriture. Les variations du noir et du blanc et du gris renvoient à la même source : une petite fille souffle dans un instrument à vent imaginaire. Alors, l’histoire va suivre le périple du vent qui se lit à travers les conséquences visibles provoquées par son passage. A la neuvième page, l’éléphant projette de l’eau avec sa trompe et les dessins se muent en traits démultipliés, permettant de passer surréalistiquement de l’air à l’eau. Apparaissent alors des poissons puis, l’eau devient vapeur et les nuages se forment qu’attrape un personnage qu’on croyait assis devant l’instrumentiste, à même la terre, mais qui, en fait, volait. Socle terrestre incertain du départ, puis air et eau, voici le livre de trois éléments du monde, ceux d’une certaine douceur si on suit l’histoire, puisque la violence du vent qui a déchainé les vagues de l’océan, s’apaise dans la féérie des nuages poussés par lui.
Par le trait, Juliette Binet recrée des correspondances improbables par lesquelles s’organisent nos représentations. Comme dans L’Horizon facétieux c’est au jeune lecteur de faire sa lecture, de composer son histoire. A l’instar du personnage final qui agrippe le dernier nuage, il va accrocher un sens à la suite des traits et dessins en noir, blanc et gris.
Mais il y a bien histoire. La structure en accordéon permet de visualiser naturellement les séquences du récit. Il faut insister sur la première séquence. Le fond est blanc ; en face de deux pieds et jambes d’un personnage perdu dans le hors-champ gauche, qu’on imagine regarder l’enfant dessinée, qui souffle dans un improbable cor. Et ce cor occupe l’espace par ses spirales et traits comme une calligraphie. Le récit est lancé : comme le trait qui s’évase en pavillon du cor, la calligraphie ouvre à une écriture nécessairement accrochée à une fable. Le motif est répété aux deux tiers du livre, lorsque l’éléphant relance l’histoire. C’est sa trompe qui va orienter le voyage du vent et de la terre balayée vers l’eau et l’air. Telle une clarinette, sa trompe lance dans l’espace à fond blanc, des portées musicales enchevêtrées où se prolonge la fable et l’unité des éléments primordiaux de la vie.
Alors que l’histoire narrée par écrit pré-dit, la fable graphique invite le lecteur à demeurer réceptif à ce qui arrive pour laisser naître des possibilités. La supériorité du récit graphique est qu’il n’a pas besoin de donner une clé : c’est le lecteur qui ouvre la porte de l’interprétation de cette narration silencieuse. Un Courant d’air est un chef d’œuvre de poésie, un album pour tous et toutes.
Geneste Philippe

26/10/2012

la littérature contre la guerre

Dumont, Jean-François, La Petite Oie qui ne voulait pas marcher au pas, éditions Père Castor - Flammarion, collection Les p’tits albums, 2012 (1ère éd. 2007), 32 p., 530
                6/10 ans et plus.
Une petite oie, Zita, vient de naître. Et la voilà entraînée par le troupeau marchant au pas et emmené par un chef de troupe fier de son autorité. Seulement voilà, Zita n'est pas dans le rythme et ça trouble, ça trouble, ça heurte l'oreille inspectrice du chef. Alors il s'arrête, repère la récalcitrante à l'ordre de marche, lui fait les gros yeux et l'expulse.Zita repart à la ferme, triste, triste. Quand le troupeau rentre, elle part à son tour à la mare. Elle a beau faire, le pas de l'oie, elle n'en veut pas. Or, les animaux sont attirés par son rythme. Il n'est pas binaire, il est riche, et chacun y va de son onomatopée propre : le cochon, la vache, le mouton, le pic-vert : splach, snif, splach, toc et snif resplach, toc snif, splach toc splach snif. Même les oies rentrées décident désormais de la suivre et de laisser le chef à son obsession d'ordre. Une harmonie rythmique unit les animaux de la ferme. Voilà comment est née la musique de la ferme. Un beau conte anti-fasciste diront certains, anti-militariste diront les autres, anti-hiérarchiste enfin. Il serait bien qu'effectivement un rien puisse faire se lever les dignités dans le corps social assombri par trop de soumission. L'illustration classique de Dumont officie parfaitement avec le bouquet humoristique final de l'album.

Rascal, La Nuit des cages, illustrations de Simon Hureau, Didier Jeunesse, 48 p., 2008, 1290
Cet ouvrage est un chef d’œuvre. L’art de Hureau est magistral et le texte de Rascal d’une fine composition. C’est un ouvrage novateur dans sa structure en cela que le texte précède les illustrations qui, après sur plusieurs pages viennent signifier l’histoire narrée dans ce qui précède. Cette innovation permet de faire suivre à un jeune enfant l’histoire et elle permet, également, au lecteur plus grand ou adulte de se lancer dans une histoire en images.
Les images, justement, sont exceptionnelles. Au texte moyenâgeux, Hureau fait correspondre une dentelle d’encres de chine avec de larges aplats noirs ou blancs. Les pages de texte, elles, sont illustrées sur fond vert, les motifs de l’illustration étant en noir.
Littéralement, le livre raconte deux évasions.
Symboliquement, il est une réflexion sur l’émancipation que les auteurs interprètent comme indissociable de la conquête de la liberté. Il s’agit, pour le héros puis le héros et l’héroïne, d’échapper à l’armée puis à l’armée et à l’Eglise ou aux sectes. L’héroïne s’avèrera être une Mélusine, le héros un fils de l’ogre. Mais ils vivront loin de la famine et des guerres. C’est la revanche des déviants des histoires édifiantes de l’enfance et de la jeunesse, la victoire de l’amour en liberté qui fait pousser des ailes aux rebelles du monde d’en bas.
Geneste Philippe


21/10/2012

contes du monde

Appolinaire Marie-Hélène, Commère Waiwai et Commère Sisi, conte amérindien de Guyane, bilingue kali’na-français, illustrations Sess, révision orthographique de la version kali’na : Isabelle Appolinaire, Marie Hélène Appolinaire, Wellya Jean-Jacques, Odile Lescure, Paris, l’Harmattan, 201216p. 7€
Les Kali’na longtemps appelés Galibi par les français forment un des peuples amérindiens des plateaux des Guyanes. « L’histoire se déroule au temps où les animaux parlaient avec les hommes ». Les personnages sont deux tortues, l’une laborieuse et l’autre paresseuse et dilettante. On peut y voir une variante de la cigale et la fourmi. Mais le conte est moins sombre que la fable. En effet, la drôlerie est mise au service d’une morale de l’entraide contre toute forme d’égoïsme. La valeur de ce petit album est d’ouvrir le jeune lectorat à une culture. Les mots francisés sont définis en note. C’est une lecture idéale et pour travailler le conte et pour ouvrir les enfants ou élèves aux peuples du monde. L’écriture y est simple, mais pas mièvre et parsemée de mots kali’na qui feront la joie de la découverte linguistique chez les jeunes.

Yeong-hee Lim, La Fontaine au miracle, illustrations de Claire Degas, Père Castor/Flammarion/Chan Ok, collection Perles du ciel, 2011, 32 p. 13€
Derrière le récit mythologique de la fontaine de jouvence, se cache l’interrogation sur la jeunesse : peut-elle être éternelle ? Une autre question est posée, celle de l’adoption. Enfin, une autre problématique voit le jour au fil des pages, celle du désir à travers l’aspiration à l’excès de possession. 

Bechet Marc et Rai Kumar Yadav, La Princesse guenon. Contes du Népal, L’Harmattan, 2012, 86 p. 11€50
Avant de rendre compte du contenu du livre, un mot sur l’auteur de 32 ans Yadav Kumar Rai. Il est handicapé par un angiome facial et, ses études accomplies, se retrouve au chômage. Il œuvre, au Népal, auprès d’un centre d’hébergement pour enfants abandonnés et avec une école de Basa, son village d’origine. Il traduit des contes français et recueille des contes népalais, dans le cadre d’un échange culturel avec l’association Au Népal en France, partager les contes. Après l’excellent volume consacré aux Contes et coutumes Khaling Rai, Kumar Yadav Rai, lui-même issu du peuple opprimé des Khaling Rai, propose ici des légendes et des contes, intelligemment séparés par Marc Bechet.
La lecture des neuf récits étonne par les échos qu’ont ces histoires avec celles des contes européens. Nulle étrangeté, au fond, puisqu’il s’agit de la même culture indoeuropéenne. Mais c’est toujours important, contre le nationalisme toujours aux aguets avec son cortège d’intolérance, de faire prendre conscience à l’enfant que les peuples dialoguent entre eux à travers leurs cultures. Bien sûr, la tonalité des récits divergent, ce qui est une manière de souligner la spécificité des identités des peuples, identité dans le sens donné au mot par J-C Bailly, « un ensemble de tonalités extraordinairement divergentes », et non pas dans l’acception essentialiste souvent raciste d’une essence intangible et source de hiérarchie entre les peuples. Ainsi, La princesse guenon ressemble fort au conte Les trois plumes des frères Grimm, La bravoure d’un paresseux se rapproche d’un fabliau tandis que Le crabe et ses amis fait un clin d’œil à la fable. Laurent Vignat, qui, dans un avant-propos concis mais précieux, démontre les rapprochements culturels ci-dessus mentionnés, appelle L’Anthropologie structurale de Levi-Strauss pour souligner que somme toute, les hommes ont inventés les mythes puis les légendes parce qu’ils se posaient les mêmes questions face aux énigmes et mystères des manifestations de la nature et de l’univers. Et il ne fait pas de doute que le domaine du conte est le domaine où l’unité des civilisations mentales humaines se dessine le plus clairement.
Deux contes parleront aux enfants des écoles et des collèges : Le Yéti et Comment se débarrasser des yétis. On pourrait même commencer la lecture du livre par eux car ils permettent d’installer sans difficulté la provenance géographique de ces contrécits.
A la fin de chaque conte ou légende, Kumar Yadav Rai a mentionné de qui il tenait l’histoire ou bien à qui il l’avait empruntée. On s’aperçoit, alors, que certains des textes ne sont pas des textes ancestraux, mais des écritures sinon contemporaines en tout cas non traditionnelles. Mais n’est-ce pas le lot des contes d’être contés au présent de chaque génération et donc de vivre de la réécriture voire de l’écriture suggérée par les mythes qui habitent l’humanité tapis au fond de chacun et chacune ?
Geneste Philippe

14/10/2012

Contre l'oubli

Pour sa centième parution, le blog lisezjeunessepg a choisi d’évoquer deux ouvrages anciens. La littérature de jeunesse subit la loi du marché qui est une loi de l’oubli. Seuls des classiques y échappent ou bien des ouvrages retenus par des institutions influentes. Or, des perles sont publiées, qui s’effacent le temps passant. Le travail des chroniqueurEs se  doit de tenir en défiance cette déification des nouveautés, équivalente en littérature du culte contemporain de la jeunesse. ♦

ELLIOT Patricia, Murkmere, trad. de l’anglais (GB) par PINCHOT A., Casterman, 2006, 312 p. 12

La narratrice, Aggie, est âgée de 15 ans lorsqu'elle est appelée au château de Murkmere, pour devenir demoiselle de compagnie de Leah, la fille du maître du village et du domaine. Elle quitte alors sa tante Jennet qui l'avait recueillie, l'entourant de soins et d'amour, dès l'âge de deux ans, après la mort de sa mère Elisa. Ancienne institutrice, Jennet lui a appris à lire.
Dans un univers glacial et embrumé, entouré de hauts murs, de lourdes et étranges histoires, le château de Murkmere est effrayant. Leah, la fille du châtelain, âgée de 16 ans, paraît hautaine et fantasque, toujours attirée par l'étang où, malgré les interdictions, elle va caresser des cygnes majestueux. Aggie essaie de la comprendre et devient son amie. Le châtelain, ministre de la contrée sous l'autorité du Grand Protecteur et membre de la Ministration, est un infirme. Il a doté son fauteuil roulant de barreaux d'où ses bras ne peuvent sortir. Cette cage symbolise l'univers d'enfermement de Murkmere : emprisonnement des pensées closes dans une mythologie où les oiseaux sont des divinités ; où l'on ne peut ni réfléchir ni lire autre chose que des textes convenus. Silas, l'intendant du château, est le gardien de ces interdits. Il maltraite les jeunes servantes, essaie de séduire Aggie qui se refuse.
Aux alentours du château, la révolte du peuple gronde. Elle sera matée. Le maître donne des cours à sa fille dans l'inaccessible beffroi. Bravant la loi, Aggie se glissera dans ce lieu et découvrira des livres interdits. Elle va apprendre que Leah – dont la mère, Blanche, est morte à sa naissance – a été confiée en nourrice à Jennet, la tante d'Aggie. L'origine de Leah, longtemps cachée, va peu à peu se dévoiler.
Au début, jeune fille timide, Aggie s'enhardit jusqu'à aider Leah à découvrir sa véritable identité et à s'échapper d'une condition qui l'emprisonne. Elle est une Avia, créature mi-humaine mi-oiseau pour qui toute attirance à la liberté est un danger. Du moins, aux yeux de son père. Aggie comprend alors pourquoi le père s'est lui-même enfermé : il connaît les pulsions violentes dont il est la proie et les retient ainsi. C'est là tout un univers fantastique, lié à la généalogie qui s'ouvre à la compréhension du lecteur. Puisant dans les superstitions communes et le folklore britannique, Patricia Elliott ramène son récit à une dimension en décalage avec l'heroïc fantasy, lui préférant l'ancrage dans les traditions imaginaires populaires. Murkmere devient, alors, un livre des destins croisés.
A la fin de l'été, la grande cérémonie officielle dédiée à Leah pour l'anniversaire de ses 16 ans, se transforme en une cérémonie macabre. Le maître va mourir, Silas et le Grand Protecteur veulent usurper l'héritage avec le projet de mettre Leah en cage et l'exhiber en tout lieu dans une exécration de la nature hybride des êtres, créatures maudites de la religion officielle. Leah comprend alors pleinement sa véritable origine, et son attachement à la robe de plume trouvée dans l'étang, lors d'une ancienne escapade : c'est la peau de sa mère, lors de sa métamorphose en cygne. Leah n'a plus de doute, dès lors, sur sa nature hybride. Avec la complicité d'Aggie, elle va s'échapper pour retrouver son identité perdue. Le père, qui craint pour la vie de sa fille, a décidé, alors, en cachette, de faire d'Aggie son héritière, contre les vues du Grand Protecteur et de l'intendant.
Ce livre est comme un conte mais au contraire d'un conte, la fin n'est pas dans la rencontre du prince charmant, ou le tout est bien qui finit bien. Aggie, héritière du domaine de Murkmere, s'emploie à y réaliser un projet de société égalitaire. On pense à l'héroïne de Pullman, dans La Croisée des mondes, qui doit, à la fin de la trilogie quitter le monde des désirs pour accéder au monde des réalités, et s'y assumer. Cependant, c'est la poésie qui clôt Murkmere :
"Puis je vis le cygne solitaire. Ses ailes, auréolées de lumière, battaient l'air avec énergie, au rythme d'un cœur. Son cou était tendu, d'un blanc éclatant sur le ciel obscurci. Il s'éloigna de Murkmere, résolu, puis se perdit parmi les nuages."
Annie Mas

Bascou Didier, La Révolte des dièses, L'Harmattan jeunesse, 2005, 149 p., 13

Cet ouvrage est un très bon roman passé inaperçu chez les spécialistes de la littérature de jeunesse. Nous l'avions chroniqué en son temps et l'avons relu pour cette chronique. Sur le fond d'une contre-utopie, le Claviland, pays du piano dirigé par un dictateur Maestro suprême. Celui-ci fait interdire la pratique à toute la population dont c'est le langage traditionnel essentiel. A partir de cette situation, se met en branle le récit d'une résistance à l'oppression et d'une désobéissance populaire. Une répression terrible s'abat sur le peuple. Une alliance s'opère entre les musiciens et le peuple qui aboutira à la victoire sur la dictature.

escarpit françoise (présentés et analysés par), Marcos sous le passe-montagne. Discours du sous-commandant Marcos, collection "les documents Syros", éditions Syros, 2006, 160 p. + port folio de 8 pages, 10 ; Sous-commandant marcos (racontée par) domi (illustrée par), La Grande histoire des couleurs, traduit de l'espagnol par Françoise Escarpit, éditions Syros, 2006, 48 p., 14

Le premier ouvrage rassemble des discours du sous-commandant Marcos prononcés entre 1992 et 2003. Françoise Escarpit les a répartis en cinq chapitres encadrés par deux chapitres (le premier et le septième) qui permettent au jeune lecteur de se repérer et d'avoir une meilleure compréhension de ce qu'il va lire. Soit le sommaire suivant : 1 ancêtres et héritiers, 2 Le Chiapas des indiens et des guérilleros, 3 Les Raisons d'une insurrection, 4 Vie et mort des enfants indiens, 5 La Couleur de la Terre, 6 Un Rêve rêvé par les cinq continents, 7 enlever le passe-montagne et faire tomber les masques. A cela s'ajoute une introduction, une carte du Mexique avec les divers états et leur capitale et une carte du Chiapas, une conclusion, une filmographie, une bibliographie, un glossaire et une petite chronologie zapatiste. Le format du livre est confortable et les pages très aérées. C'est une réussite car le style, aussi, est très clair. La question du rapport avec le pouvoir central, avec la gauche institutionnelle, le rôle des femmes, le projet éducatif et sanitaire etc. sont mis à la portée du jeune lectorat dès l'âge de 14 ans… et des adultes qui ne manqueront pas de venir grossir le lectorat de cet ouvrage. Le travail d'édition de Françoise Escarpit est, ici, à louer.
Pour le second ouvrage, c'est un conte d'un vieil indien rapporté par le Sous-Commandant Marcos (qui, lui-même, n'est pas indien mais métis). Plutôt que d'un conte, il s'agit plutôt d'une fable en hommage à la diversité des êtres humains sur la terre, un hymne à la richesse de la variété des peuples. Les peintures de Domi (Gloria Domingo Manuel) rencontrent intensément le verbe poétique du texte. Ainsi naît la grande aventure de l'humanité, d'une humanité à repenser dans le respect de sa diversité. Ce second ouvrage est véritable livre d'art. Redonnant au peuple la maîtrise de son langage, qui cherche à approfondir l'autonomie de son imaginaire. ", le livre perpétue une image de la révolution zapatiste, qui allie littérature, tradition orale locale et réflexion politique. On y retrouve cette persistance d'une parole jamais solitaire, toujours duelle au moins (« nous sommes deux pour discuter » répondit-il à Montalban dans un entretien paru en 2003 aux 1001 nuits, dans Marcos. Le Maître des miroirs), plurielle le plus souvent

Geneste Philippe

06/10/2012

La lecture se livre en société

Koechlin Lionel, Lecture pour toutous, Gallimard-Giboulées, 2012, 24 p. 12€
Bien sûr on peut lire Lecture pour tous sous Lecture pour Toutous. La pluralité englobe l’animal et l’homme, Koechlin ne prêtant pas aux plantes, même la velléité d’accéder à la lecture, elles appartiennent pourtant au vivant. Première question philosophique de l’album. On n’est certes pas obligé de se la poser.
Bon, d’accord, les chiens, ici, même si l’un d’entre eux fait des efforts, n’y arrivent pas non plus. Il faut dire que le maître est bien traditionnel avec son B.A. ba mais il est gentil. Et puis un maître… Ah ! Décidément ! Maître d’école, maître du chien, ça vous embrouillerait les idées ces homonymies… Oui, donc, j’en étais à dire que le maître du chien intéressé allait devenir l’élève le plus assidu du maître d’école. C’est que le maître devenu aussi intéressé est illettré à qui le maître lettré enseigne la lecture…
Le livre, il nous raconte cela, cette histoire croisée de maîtres et de chiens qui s’invitent dans une salle de classe. Donc, lisons… Il est vrai que les dessins disséminés sur la page, peints en aplats pas plats, faut bien les lire, dans l’ordre un peu mieux que dans le désordre, même si rien n’est obligatoire car on peut les lire dans toutous les sens et y trouver des joies de reconnaissance des toutous.
Puis, au fond, vous l’avez compris, l’histoire est un récit social qui met en scène la fermeture des classes et les groupes sociaux privés de l’accès à la lecture. Or, pour Lionel Koechlin, ce merveilleux graphiste narrateur, la lecture ouvre au monde. Et parce qu’elle ouvre au monde, elle ouvre au bonheur dont le premier est celui de la rencontre : compréhension et rencontre sont synonymes dans cet ouvrage. Alors ce livre pour les enfants de 7 ans, mais qu’on peut leur lire à partir de 4/6 ans, initie aussi à l’éthique de la connaissance dont la lecture est une des conditions dans nos sociétés.
Philippe Geneste

30/09/2012

La littérature pour la jeunesse face au créationnisme

Perrin Michel, Les Démons du Museum, éditions du chant d’orties, 2011, 154 p.
Si des ouvrages de littérature destinée à la jeunesse prennent pour support de fiction la matière de controverses contemporaines, c’est en général pour faire la propagande de l’humanisme et de l’éloge des droits de l’homme. Très peu d’ouvrages osent affronter des problèmes de société qui ont à leur racine des questions vives de connaissance. C’est pourquoi le livre e Michel Perrin est à marquer d’une pierre blanche. C’est le premier roman abordant la question de l’évolution sous l’angle contemporain, dans ses enjeux politiques et sociaux. A ce seul titre, l’ouvrage devrait se trouver dans toute bibliothèque, centre de documentation tournés vers la jeunesse.
Le livre part très simplement : Thomas, fils du gardien du muséum national d’histoire naturelle est intrigué par des actes de vandalisme perpétués à l’intérieur du musée. Avec une amie, il mène sa propre enquête. On le voit, rien que de très banal comme entrée en matière narrative. Mais ce qui ne l’est pas, c’est que l’auteur introduit sans aucun effet d’hétérogénéité la controverse qui oppose les tenants du créationnisme dont le berceau est aux USA et les scientifiques tenants de la théorie darwinienne de l’évolution. Une visite guidée du Muséum permet d’introduire le lectorat à la connaissance de Buffon, Lamarck, Wallace, Darwin. Bien sûr, on va s’arrêter plus particulièrement sur ce dernier, qui a mis au point la théorie de la descendance modifiée des organismes par le moyen de la sélection naturelle. C’est en effet, cette dernière théorie et l’anthropologie contenue dans La Filiation de l’homme (1871) que les créationnistes prennent à partie. Le roman évoque l’étape de Darwin au Galapagos lors de son voyage en tant que naturaliste à bord du Beagle entre le 15 et le 20 octobre 1835.
Thomas et son amie Chloé vont déjouer un projet des créationnistes organisés pour mettre le feu au muséum. Si le support secondaire de l’histoire, la double enquête policière par le commissaire de police père de Chloé et les enfants eux-mêmes, est un peu cousu de fil blanc, si la présence d’un abbé parmi les détracteurs des créationnistes vient brouiller le message du roman assez inutilement, les apories du créationnisme et l’inconsistance de leur pseudo-théorie sont parfaitement démontrés. En outre, la richesse culturelle du roman permet aux jeunes lecteurs et lectrices de s’initier à la théorie de l’évolution. Le récit est aussi œuvre de vulgarisation scientifique dans le très bon sens du terme manifestant un renouement de la littérature avec ce qui la fonde : un discours général sur le monde, un discours des discours que le nombrilisme littéraire contemporain tend à refouler. Raison de plus pour acquérir, offrir, lire cet ouvrage unique dans le paysage romanesque actuel destiné aux enfants à partir de 11 ans.
Geneste Philippe

23/09/2012

coïncidence

Eric Battut, Broum l’automobile, Autrement, 2012, 32 p. 13€95 ;
Yves Pinguilly, Le Voyage de l’arbre, illustrations de Florence Koenig, Autrement, 2012, 40 p. 13€95
Tout sépare a priori ces deux ouvrages. Celui de Battut est l’histoire d’un objet inanimé, une voiture à travers le vingtième siècle. L’histoire dure cent ans au moins. Celui de Pinguilly et Koenig conte les pérégrinations d’un arbre qui veut voir du pays et qui part en vagabondage à travers l’Afrique. La durée de l’histoire est longue, aussi, au moins cinquante ans.
Les illustrations de Battut sont des peintures au style faussement naïf, qui emprunte à la bande dessinée et qui présente presque toujours l’horizon. Les illustrations sont d’autre part mises en vis-à-vis du texte, sans jamais le doubler, mais en en élargissant le propos. A l’inverse, les peintures de Koenig sont aussi des peintures qui introduisent l’insolite dans le réel, et qui englobent le texte, le redoublant et lui apportant une volonté de projeter ce qui est écrit dans un espace imaginaire.
Mais ce qui rapproche ces deux albums, magnifiques, c’est le schéma du récit : l’objet (voiture) pour l’un, la plante (arbre) pour l’autre sont les héros. Les humains sont des personnages secondaires qui servent à faire avancer le récit mais qui n’en sont pas le moteur. Dans les deux cas, le personnage non humain voyage et trouve dans le voyage du bonheur autant que l’assouvissement d’un désir de connaître le monde. Dans les deux cas, des enfants viennent égayer la vie du personnage et redonnent à l’objet une vie qui semblait perdue. Dans les deux cas, le personnage renaît : en une nouvelle voiture pour l’une, en des instruments à percussions pour l’autre.
Que faut-il penser de cette coïncidence de parution éditoriale ? L’objet, dans une société de consommation généralisé, n’est en général présent que comme bien ou satisfaction d’un besoin, y compris dans la littérature destinée aux enfants. Ensuite, il subit une personnification, ce qui n’est le cas qu’à la fin du livre de Pinguilly, mais il faut nuancer cela car c’est pour épouser l’animisme des civilisations africaines premières et non pas pour rendre l’objet proche de l’enfant lecteur pour le conquérir. Dans les deux albums, ici chroniqués, l’objet et l’arbre retournent à leur élément premier : la voiture est devenu une Broum 1900 de collection, l’arbre mort revit dans son matériau propre, le bois. Le personnage n’est pas jeté, il continue à vivre à travers la vie des autres et sans rien de mystique, sans aucune métempschychose, l’enfant est appelé à comprendre que nous ne sommes existant qu’à travers les relations sociales dans lesquelles nous sommes pris et que nous provoquons.
Philippe Geneste

16/09/2012

Robert Desnos (1900 – 1945)

Maricourt, Thierry, Robert Desnos, éditions Oskar, collection Culture et société, 2011, 63 p.
L’auteur a porté au fronton de sa biographie romancée du poète cette citation « Vous mettrez sur ma tombe / une bouée de sauvetage. / Parce qu’on ne sait jamais ». La biographie est agencée autour de la narration d’un élève dont l’enseignant de français, bossu, pose à la classe une énigme : chaque jour il donne aux élèves des indications sur la vie du personnage, dont il a dit qu’il s’agissait d’un écrivain, charge aux élèves de trouver de qui il s’agit. Cette structure ressemble à celle adoptée par Jostein Gaarder avec Le Monde de Sophie traduit et adapté du norvégien par Hervieu et Laffon (Le seuil 1995). Sauf qu’ici, tout le récit se déroule sous l’égide du dialogue et de la narration de la fiction alors que dans l’ouvrage de Gaarder, le narratif n’était que l’entracte de lourds exposés philosophiques. Cette structure permet à Maricourt d’inclure des extraits de poèmes, de les situer, parfois, historiquement.
Au final, Robert Desnos apparaît comme un écrivain inclassable. Desnos est engagé mais il refuse toute discipline organisationnelle si celle-ci devait contredire sa pensée sur le monde. Il est critique et ne met pas tout sur le même plan, refuse l’humanisme plat pour qui tout se vaut dans l’expression, et les formes et leurs contenus : non nous dit-il, la poésie vaut d’être écrite comme la vie d’être vécue, mais en conscience. S’il nous parle de lui tout en défaisant les stéréotypes langagiers, Desnos ne s’enferme pas dans le nombrilisme égoïsant des poètes qui, durant la guerre, ne trouvaient qu’à méditer sur l’abandon du langage et l’inhumanité du monde. Pour Desnos, le monde reste humain tant qu’il existe des humains pour le rendre humain, pour se battre contre les tendances inhumaines que traduisent toujours les pouvoirs.
Car, en effet, Desnos fut le poète du refus : anti-clérical, anti-militariste, anti-raciste, anti-capitaliste, anti-nationaliste. Il fut cela, avant toute autre chose et on peut lire sa poésie comme une poésie porteuse de l’éloge du négatif. L’univers poétique, pour autant, n’en devient pas sous sa plume un anti-monde : il aime trop les humains pour cela. Desnos reste inclassable, parce qu’il refuse la hiérarchie, toutes les hiérarchies.
Il fut journaliste, romancier, essayiste, poète, combattant, prisonnier, parce que « au-delà de la poésie libre, il y a le poète libre » c’est-à-dire impliqué dans la vie du monde, s’y engageant au risque de sa personne. Et c’est dans sa poésie, dans la littérature, donc, qu’il cherche à inscrire cet engagement pour lui donner toute son ampleur. On connaît ses écrits durant la guerre de 39/45, sa déportation et sa mort du typhus au camp de Terezin en 1945. Sa poésie vise la simplicité et la drôlerie, on pense à Prévert parce que Desnos est irrévérencieux. C’est un poète c’est-à-dire « quelqu’un qui vit et tient à le dire et qui une fois mort vit encore car ses mots vivent sans lui » (p.21/22).
L’entretien donné par Thierry Maricourt dans l’appendice du livre et l’anthologie de poèmes qui forment à eux deux un dossier documentaire intéressant, permettent au lectorat de poser les connaissances acquises durant la fiction.

Poèmes de Robert Desnos choisis et présentés par Camille Weil, Gallimard jeunesse collection folio junior poésie, 201095 p. cat.2
Les textes sont extraits des recueils Prospectus où Desnos use de sa science de publiciste, l’irrévérencieux Corps et biens où, précédant Prévert, Desnos introduit le langage populaire dans le surréalisme, l’hilarant Fortunes, le très approprié recueil pour l’enfance Destinée arbitraire, l’imposant Contrée, le recueil léger La Ménagerie de Tristan puis Le parterre d’Hyacinthe et La géométrie de Daniel. Ces trois derniers titres étaient explicitement destinés aux enfants, car Desnos a fait une œuvre en littérature de jeunesse spécifique, ce qui est fort rare : « Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J’appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée » (extrait du Journal de Robert Desnos cité par Maricourt page 37).
Cette anthologie –dont on regrettera qu’elle ne livre pas avec plus de précision la date des textes choisis et le contexte littéraire qui les a vus naître- croise le poète surréaliste (il est exclu du mouvement en 1929), le poète fabulateur, l’amoureux des mots et de la déconstruction lexicale, le poète lyrique qui pose certains poèmes dans le cadre classique de l’interlocution. Desnos s’approche de la glossolalie, joue du phonétisme, mais il refuse de casser le langage comme il refuse le lâcher rhétorique des images : il refuse de faire littérature. Et c’est là, probablement, que se trouve la contrainte de la simplicité imposée à sa poésie, comme on la trouve aussi chez Prévert.
Desnos refuse le monde comme il va, mais il refuse de ne pas agir dans ce monde. C’est pourquoi il dénonce par les vers, mais en même temps, sa poésie réenchante le monde, à travers l’affirmation du disparate, de l’incongru, du surréel. L’œuvre de Desnos y apparaît se nouer autour de trois enjeux majeurs : l’action, la liberté, la révolte. Surtout, c’est une œuvre qui dit que pour se plonger dans le combat contre un monde, il faut prendre ses distances avec celui-ci. Et, pour Desnos, la poésie, l’humour, la dérision voire le non-sens, sont des modalités pour s’émanciper d’un quotidien qui aliène. Le réenchantement du monde, cette part de rêve et de désir libérée par la déconstruction poétique n’a, au fond, pas d’autre but. Le regard poétique de Desnos est l’affirmation de la liberté du regard : celle de se détourner de ce qu’on veut vous faire voir pour y voir autre chose
Geneste Philippe

09/09/2012

Blessures algériennes, la littérature face à l’histoire

Virginie Buisson, L’Algérie ou la mort des autres, édition Gallimard, collection Scripto, 2011, 105 pages, 7€ (1ère éd. Collection folio junior 1981)
C’est avec une grande sensibilité que Virginie Buisson raconte, dans son roman L’Algérie ou la mort des autres son adolescence meurtrie dans une Algérie française mourante. L’héroïne qu’elle met en scène est la narratrice de l’histoire et son prénom n’apparaît jamais.
C’est âgée de 11 ans, dans le milieu des années 1950, que la toute jeune fille quitte sa Lorraine tranquille pour, accompagnée de sa mère et ses petits frères, rejoindre le père, gendarme, récemment muté en Algérie. La traversée de la Méditerranée sur le paquebot, passage obligé entre deux terres, marque déjà la séparation entre son enfance libre et paisible et son adolescence tourmentée en Algérie.
A l’arrivée, la jeune fille est attirée par ce pays qui l’accueille, mais c’est une mitrailleuse de l’armée qui les escorte jusqu’à la garnison de Bir Rabalou où la famille s’installe.
La narratrice décrit sa rencontre à l’école avec les jeunes filles berbères, Fatima, Salirha, Khedidja, qui deviennent ses amies, l’accueil des femmes algériennes, les parfums, les couleurs de ce pays. Seulement, fille de gendarme, elle habite une maison « européenne », que se partagent trois familles d’agents de l’état français.
Petit à petit, insidieusement, le racisme, la terreur s’infiltrent. la jeune fille ne comprend pas, mais des tueries répondent à des tueries, attentats et emprisonnements se multiplient. Des caves de la caserne proviennent des bruits de plus en plus insoutenables dont on tait le nom ; ce sont pourtant des cris de torture.
La narratrice ressent « la mort des autres » dans sa chair et de cette souffrance nait une révolte violente contre l’autorité de sa famille et contre toute forme de pouvoir. Dans cette tourmente, sa sensualité s’affirme auprès de jeunes appelés venus de l’Etat français tuer et se faire tuer. Bien qu’on l’enferme, lui fasse subir maintes brimades et humiliations-, elle s’échappe pour des rencontres amoureuses.
Dernière scène, scène de drame, huit années ont passé, l’été 1962 approche.
L’héroïne et Jacques, son jeune amant, courent dans les rues d’Alger en émeute. Un tir, venu d’une voiture, les arrête : devant eux, un petit garçon d’une dizaine d’années au teint mat et aux cheveux sombres, vient d’être abattu. Malgré la somation du tireur : « Laisse le crever, c’est un raton », Jacques s’approche de l’enfant pour le secourir. Il reçoit alors une balle mortelle. Et dans les bras de l’héroïne aux ballerines maculées, à la robe tachée de sang, s’échappe la vie d’un petit garçon et celle d’un jeune homme, tous deux nés en Algérie.
Ce roman est dédié à l’Algérie, à l’amour et la révolte. Son écriture est émouvante et belle, à l’image de ce pays qui en a fait naître la poésie.
Annie Mas

Lucien Touati, …Et puis je suis parti d’Oran , éditions G.P., collection Grand Angle, 1976, 222 p.
Autre roman d’une grande richesse, … Et puis je suis parti d’Oran offre là de belles pages sur le désarroi d’un adolescent face au racisme et à la violence.
En mars 1962, le narrateur de l’histoire, le jeune Lucien, a 14 ans. Avec ses parents, ses frères et sœurs, il quitte sa ville natale d’Oran pour celle de Marseille. Seul, sans ami dans ce nouveau lycée, il se souvient des évènements passés depuis le début de l’année scolaire en septembre 1961, à Oran.
Lucien est d’origine juive berbère, sa famille est ancrée depuis très longtemps en Algérie. Son père, employé à la mairie d’Oran, est adhérent à la SFIO. Ce n’est pas un homme raciste. Sa mère, femme au foyer, est généreuse et pleine de bon sens. L’adolescent est très attaché à sa famille. La ville d’Oran est un vaste refuge, et ses pérégrinations, de l’appartement de ses parents au quartier mauresque, de son lycée à la mer, dessinent un espace de découvertes et de réflexions. Les attentats meurtriers qui, jusque là, parvenaient en lointains échos se rapprochent. Certains de ses amis vont partir. Lucien se sent impuissant, étranger à toute cette violence. Lorsque Claude, son père, est gravement blessé par une arme à feu, le semblant d’insouciance préservé par sa mère est bouleversé.
Lucien est sollicité par un jeune sympathisant de l’OAS qui l’incite à prendre une arme « pour venger son père ». Indigné, Lucien refuse. La famille doit quitter l’Algérie afin que Claude, qui pourtant refusait ce départ, puisse guérir. Seul reste à Oran le grand frère de Lucien, Maurice, son modèle aussi, qui déteste tant les pratiques de l’OAS.
Perdu et seul dans nouveau lycée, à Marseille, Lucien peine maintenant à trouver sa place, à effacer ses angoisses, à retisser son histoire.

Le roman de Touati débute avec le froid ressenti par Lucien à son arrivée à Marseille, celui de Virginie Buisson se clôt par le froid qui accueille l’héroïne à son retour en France.
Ils ont froid pour leurs jeunesses bafouées, froid pour toutes les morts dont ils furent témoins pour une guerre qu’ils ne comprenaient ni ne voulaient.
Ils ressentent le froid des rescapés que le futur effraie, le froid de ceux qui ne trouvent leur place nulle part… Comment survivre et se construire après voir frôlé, pleuré, après avoir connu la mort des autres ?
Annie Mas

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Nozière Jean-Paul, Un été algérien, Gallimard jeunesse, collection Scripto, 2012 (1ère publication en jeunesse 1993)135 p. 8€
Voici un texte accessible pour les divers appétits de lectures des préadolescents, qui raconte l’Algérie de 1958. C’est un roman documenté et respectueux.
De Gaulle vient d’arriver au pouvoir. Aux environs de Sétif, une ferme, deux familles : celle d’un petit colon, Barine, aux idées vaguement libérales et celle de ses ouvriers arabes, les Bellilita, dont le fils Salim allait –jusqu’à cette date et avec ferveur- au lycée avec son copain Paul Barine, comme lui âgé de quinze ans. Parce que la situation se durcit, que la guerre s’amplifie, le colon met fin à ce privilège. Ceci provoque chez Salim la prise de conscience de sa situation réelle et l’amène à choisir son camp, celui du FLN et de l’ALN dans les rangs de laquelle il s’engage en même temps qu’il voit mourir son amitié pour Paul. La narration est censée être faite par Salim.
Le livre permet d’exhumer les ambigüités du statut des colonisés (algériens, alors que l’on parle pour les colons de français d’Algérie), d’élucider les liens entre oppression économique, dépossession de la langue, dépossession de la terre ce qui ouvre à la thématique du déni d’identité.
Tout le récit est un récit rétrospectif placé sous l’éclairage d’un premier chapitre désenchanté, « Ma guerre, je l’avais gagnée et perdue durant l’été 1958 » narre Salim page 11. Par la construction narrative, J.P. Nozière donne à son roman respectueux des sensibilités et de la vérité historique, une signification tragique. La colonisation détruit tout, surtout l’avenir et les valeurs de la guerre ne sont jamais le vecteur d’un accomplissement de la liberté humaine.
Texte repris de l’analyse de Liliane Fontan
« Parce que nous avons mal à l’Algérie », La Tache d’encre, n°63/64, mars 1998, pp.49-52