Anachroniques

19/06/2011

Un conte classique contre la spoliation

Kay Beneduce, Ann, illustrations de Gennady Spirin, Jack et le haricot magique, Gautier – Languereau, 2004, 32 p., 12€ tous les âges
Remarquable version que celle-ci ! Remarquable version grâce à une illustration hors du commun, très riche, très fouillée, une illustration qui reste dans l'imaginaire longtemps après avoir lu le livre, une œuvre illustrative qui rejoint toutes ces grandes œuvres par lesquelles nos souvenirs de livres enfantins sont venus donner du ferment à nos lectures postérieures. Le héros est espiègle, l'histoire donnera raison à son goût pour la curiosité : n'apprend-on pas du monde grâce à la curiosité ? La curiosité muée en défaut dans nos sociétés n'est-elle pas, pourtant, l'impulsion première de la connaissance ? Qu'est la soif de connaissances sinon une curiosité orientée vers les savoirs. Merci Jack de nous le rappeler.
N'entrons pas dans l'origine du conte car les conteurs eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux. On le place au XVIIIème siècle mais il en existe des versions au XIIème. Au départ, c'est une histoire de géant et Jack est le héros tueur de géants. Grand bonheur, Kay Beneduce a choisi une version non violente du conte. Ainsi, à la curiosité s'allie la ruse et le récit devient un vrai conte de la quête du savoir. L'autrice s'est appuyée sur la version de 1881 parue dans The Children's book. Le haricot magique est l'instrument par lequel Jack va pouvoir venger son père tué par un de ses amis, un géant qui lui déroba toutes ses richesses. Sous la protection d'une fée, détenteur du secret de sa vie orpheline, Jack va reconquérir, par le ruse et la curiosité, toutes les richesses perdues. Quand il eut tout récupéré, il coupa le haricot magique ce qui anéantit le royaume du géant et libéra sa vie et celle de sa mère du secret de leur spoliation. Jack et le haricot magique est un conte contre la spoliation.

Ph. G.

12/06/2011

Ecologie, rhétorique & rigolade

Maricourt Thierry, Tout au bout de mon jardin, illustrations d’Annie Ruch, Le Chant d’orties, collection Les Coquelicots sauvages, 2010, 24 p., 10€ à partir de 3 ans
C’est une histoire tendre et à dimension sociale tout à la fois. Une autoroute va traverser le jardin d’une famille et la petite fille se demande ce que vont devenir les hérissons qui habitent au fond du jardin. Ecrit avec émotion et légèreté par Thierry Maricourt dont le registre de style épouse à la perfection les sentiments enfantins, l’album de beau format est remarquablement illustré par Annie Ruch. Au final on a un très bel album pour les enfants dès 3 ans.

Pintus Eric, Faim de loup, illustrations de Rémi Saillard, Didier Jeunesse, 2010, 36 p. 11€90 dès 4 ans
Un conte cruel en forme de rigolade qui se finit par la régalade. Un loup famélique tombe dans un piège à ours. Un lapin moqueur l’insulte du bord du trou en un abécédaire d’insultes, avant, dans son inconscience d’y tomber à son tour… dans la gueule du loup…. Remarquable, hilarant, et au fond décapant en terme de morale sociale contemporaine…

Gang In, Quand Minuit sonne…, texte français adapté par Michèle Moreau d’après une traduction de Yeong-hee Lim, Didier jeunesse, 2009, 40 p. 12€90 5/9 ans
Initialement publié en Corée du Sud, l’ouvrage repose sur une comptine traditionnelle. Le travail graphique repose sur l’organisation de photographies de décors et de figurines (les personnages) en fonte, plâtre, bois, tissu etc. L’auteur, artiste plasticien travaillant le métal, a composé un théâtre de la Corée moyenâgeuse, avec scènes successives dont le lien repose sur la fuite du personnage qui veut manger tranquillement ses deux gâteaux achetés grâce à une pièce trouvée dans la rue.

Donaldson Julia, Paddy MacPat, traduit de l’Anglais (GB) par Anne Krief, illustrations Axel Scheffer, Gallimard, collection Album, 2009, 40 p. 12€ à partir de 4 ans
Dans la veine traditionnelle de la littérature de jeunesse anglaise, cet album est un régal d’humour et de tendresse. C’est l’histoire d’un chanteur de rue, un peu clochard qui se produit avec son chat pour des miaulements musicaux. Mais voilà, un jour le pauvre musicien est victime d’un vol et d’un accident qui l’éloigne de son coin de rue. Pendant ce temps le chat a trouvé à conter fleurette à une belle chatte noire et blanche qui l’introduit dans sa vie de famille auprès d’humains attentionnés. Mais le chat est fidèle, il veut retrouver son ami musicien. Il le retrouvera, et c’est le chaton dont personne ne veut à la maison qui va se joindre à l’homme pour un nouveau duo.

Laval Thierry, Le Curieux voyage d'un drôle de bus dans le monde fabuleux, Gallimard, coll. Giboulées, 2009, 18 p. 15€50 3 ans / 5 ans
L’illustration en grand format sur carton dur est foisonnante de détails qui attirent l’œil par leurs couleurs vives. On passe à la campagne, à la ville, dans la mer et sous la terre, on monte dans un bus fabuleux qui traverse les espaces de vie, avec humour jusqu’à sortir dans l’univers. Des personnages divers et croquignolets se bousculent durant cette journée formidable. Un livre d’humour rehaussé par des fenêtres qui s’ouvrent et se ferment permettant d’augmenter d’autant l’histoire. L’auteur qui a publié des livres sur les formes, les couleurs, les animaux et les chiffres, rassemble, ici, sa maîtrise de ce type de livre pour un carnaval du plaisir.

G. Ph.

05/06/2011

Poésies en enfance

Parente pauvre de l’édition en général, la poésie en jeunesse est un secteur où sont livrés, principalement des fragments de la littérature patrimoniale adulte. Les premier et second ouvrages chroniqués en sont l’illustration. Desnos symbolisait, il y a 30ans avec Prévert et Carême « toute la poésie » (Régis Lefort, La Poésie pour la jeunesse, dans Escarpit D., La littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui, Magnard, 2008 p.363) ce dont atteste encore l’album pour les petits, Florilège. L’école des poètes, illustré par Duhême et Félix, Gallimard, coll. Enfance en poésie, 2004, 44 p. 6€20. Le troisième ouvrage marque la filiation en jeunesse de la poésie et des comptines par une création originale. Le quatrième livre participe du tournant en poésie pour la jeunesse qui date de 1985 (tournant associé aux éditions Cheyne) où des auteurs contemporains s’adressent directement au jeune lectorat. Une création nouvelle voit alors le jour. Le cinquième livre montre combien l’édition jeunesse cherche à toucher les adolescents. Le livre paraît dans une collection dévolue jusqu’ici au roman, preuve de la délicatesse de proposer en lecture la poésie… que l’on vise la jeunesse ou les adultes.

Desnos Robert, Poèmes, choisis et présentés par Camille Weil, Gallimard jeunesse, collection folio junior poésie, 2010, 95 p. cat 2
Sont rassemblés soixante-quatre poèmes avec, pour fil conducteur, le parti pris de l’humour. Les jeux de mots abondent ainsi que l’utilisation de l’énumération et l’exploration cocasse des graphies en leur lien avec la réalisation sonore. Desnos apparaît sous le jour d’un poète amoureux des mots, donnant à la poésie la fonction de faire rire du monde et de soi (ce que les illustrations de Rémi Saillard redoublent à leur niveau) et de rendre l’homme attentif aux signes. Même si un poème rend compte de l’engagement de Desnos durant la seconde guerre mondiale, le passage de son pacifisme à la lutte armée antifasciste restera obscur pour le jeune lectorat. Il lui faudra lire le paratexte pour savoir que pour Desnos, l’engagement social pouvait avoir une répercussion sur l’engagement poétique.

Roy Claude, Poèmes, Gallimard, collection Folio junior poésie, 2010, 95 p. cat 2
Il y a des poètes qui se lisent surtout grâce à l’école. Claude Roy en fait partie. Relire ses poèmes, ou les lire, est l’occasion de découvrir d’autres poèmes où le traducteur de poésie chinoise montre l’étendue de sa culture tout en parlant simplement, ce qui explique l’intérêt des enfants pour ses œuvres. Il aimait répondre à la question « Quel est pour vous le comble du malheur ? » (Extraite du questionnaire de Proust) : « Ne plus s’étonner de rien… ». Sa poésie entretient vif le désir d’étonnement et il est bon, pour cela, de la relire. Les poèmes présents dans cette anthologie sont extraits de Enfantasques (1974), Nouvelles Enfantasques (1978), Poésies (1970), Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer ? (1979), A la lisière du temps (1984), Les pas du silence (1993).

Leblanc Catherine, L’Envol, illustrations Yating Hung, Chan-Ok, 2011, 24 p. 10€ dès 4 ans
Un poème pour chanter l’oiseau, un poème accompagné de dessins coloriés aux crayons de couleur, légers tout en douceur. Assonances et allitérations sont présentes, rapprochant la poésie de la comptine ce qui fait de cet album un livre pour les petits.

Kochka, Poésies dans l’air et dans l’eau, illustrations de Julia Wauters, Père Castor, 2011, 24 p. 10€
L’ouvrage s’adresse aux 5/6 ans à qui il propose de courts poèmes qui jouent sur les sonorités et les rimes en [o] et [r]. La poésie de la peinture de Wauters accompagne magnifiquement les poèmes qui sont inégaux, certains très rigoureusement bâtis sur les jeux de sonorité si bien qu’on s’approche de la comptine et les autres plus narratifs qui renvoient surtout à la peinture, alors qu’ils l’ont précédée… Il y a un lien étroit entre l’illustration et le texte sans laquelle ce dernier perdrait son attrait. Ce type de livre pose la question de la pertinence d’une catégorisation par âge de la poésie (l’album est noté pour les jeunes enfants). On dirait la même chose de Ma Maison c’est la nuit d’A. Rochedy, (éd. Cheyne, 2002) En revanche il souligne combien la poésie s’ouvre à la rêverie imaginante. En fait, la poésie est un genre qui défie les âges si on excepte la poésie philosophique par ailleurs si ennuyeuse.

Friot Bernard, Mon Cœur a des dents. Poèmes sous haute tension, Milan, collection Macadam, 2009, 156 p. 9€
Avec cet ouvrage, qui joue de la typographie, se renforce de l’œuvre graphique de Bruno Douin, la poésie se donne comme un fourre-tout verbal provoquant l’humour et les stéréotypes, simple effet de mise en page s’amusant des mots et des bons mots. L’éditeur dit innover « en publiant de la poésie pour les adolescents ». Là encore, cette catégorisation par âge laisse dubitatif.


Geneste Philippe