Anachroniques

20/03/2011

Histoire du polar jeunesse.

Entretien avec Raymond Perrin
Perrin, Raymond, Histoire du polar jeunesse. Romans et bandes dessinées, L’Harmattan, 252 p. 24€50

1- Quelles sont les grandes étapes du récit policier en littérature destinée à la jeunesse?
Compte tenu de l’attitude moraliste des censeurs de tout bord, il y a d’abord la période clandestine et souterraine de lectures souvent faites en cachette. Aux lectures des œuvres illustrant des personnages empruntés aux adultes, Sherlock Holmes de Conan Doyle, Arsène Lupin de Maurice Leblanc, Rouletabille de Gaston Leroux se sont jointes peu à peu celles de romans populaires bon marché, ceux par exemple de la collection « Junior police ».
En fait, le roman policier est d’abord lu par les jeunes grâce à la bande dessinée, laquelle a été active et présente à toutes les périodes. D’abord grâce surtout aux détectives venus d’Amérique : Dick Tracy, Charlie Chan, Agent secret X9, Spirit… Après la guerre de 39-45, les journaux franco-belges, tels Tintin et Spirou, proposent de nombreux héros ou détectives (Tif et Tondu, Blake et Mortimer, Gil Jourdan, Ric Hochet, Lefranc et la presse catholique fait connaître Pat’apouf et le détective Pat’Rac).
Au cours des années 30, on ne remarque guère que la traduction d’Emile et les détectives d’Erich Kästner, Les Disparus de Saint-Agil de Pierre Véry et la série destinée aux fillettes, Sir Jerry de Mad. H. Giraud (qui ne manque pas d’ailleurs de se moquer gentiment du roman policier).
Au cœur des années 50, alors que paraissent quelques récits policiers autonomes intéressants (dépourvu de l’étiquette « policière »), déboulent chez Hachette les séries à « mystères » anglo-saxonnes (Club des cinq et Clan des sept d’Enid Blyton, Alice de Caroline Quine) puis françaises (Michel de Georges Bayard, Les Six compagnons de Paul-Jacques Bonzon, avant Fantômette de Georges Chaulet…).
Ces séries souvent stéréotypées, lancées grâce à une machine commerciale sans précédent dans le monde des lectures juvéniles, continuent de se développer au cours des années 60, avec Langelot, Les Trois détectives, Jacques Rogy, Les Frères Hardy… et conviennent à ceux qui défendent l’application stricte de la loi de post-censure de juillet 1949. Le Cheval sans tête de Paul Berna, devenu un « classique » recommandé dans les écoles, n’est pas entré dans toutes les bibliothèques, dès 1955, loin s’en faut ! Mais, outre le fait que toutes les séries sont mal vues, la mort reste tabou et les mots « assassinat », « meurtre », voire « pistolet » ou « revolver » sont bannis des titres.
La première collection qui affiche le policier, c’est « Jeunesse poche », chez Rageot dès 1970. On y voit paraître les enquêtes de Sans Atout, le collégien créée par Boileau-Narcejac qui introduisent d’ailleurs le mot « pistolet » dans un des titres.
Grâce aux collections nées chez Syros, (- oui, on peut parler de la révolution « Souris noire »-), à partir de 1986, le polar est peu à peu admis dans le monde enseignant jusqu’à l’adoption de liste officielle de lectures dans les collèges puis les écoles primaires.
Au cours des années 90 et au-delà, les frontières des âges et des genres sont franchies. Le polar s’acoquine avec le roman fantastique, le récit historique et il apparaît dans l’album illustré (John, Chatterton, Rouletapir), le manga tout en continuant de s’enrichir grâce à la bande dessinée (Jérôme K Jérôme Bloche, Adèle Blanc-Sec, Jack Palmer, l’Inspecteur Bayard, Soda, Léo Loden…).


2- Le récit policier arrive en jeunesse après son explosion dans la littérature destinée aux adultes. D'après-vous est-ce un effet de suivisme de la littérature de jeunesse par rapport à la littérature pour adulte ou bien y voyez-vous des causes plus profondes?

Non, la littérature de jeunesse ne peut pas être accusée de « suivisme » par rapport à la littérature pour adulte. Si elle peine au départ à créer son propre espace, c’est surtout parce qu’elle a toujours été placée sous surveillance. Même le policier destiné aux adultes a longtemps été considéré comme un « mauvais genre ». C’est vrai que, lors de plusieurs étapes, les collections pour la jeunesse ont réussi à « récupérer », avec un évident décalage, des personnages romanesques ou du monde de la bande dessinée, au prix parfois d’adaptations généralement critiquées par les puristes. On ne sait pas si ce sont les mêmes qui écartent parfois des œuvres jugées par eux trop violentes. Longtemps « clandestins », les récits policiers « jeunesse » ont dû se cacher longtemps sous le couvert des récits d’aventure, suspects parce que considérés comme étant purement distractifs, sans ambition éducative, voire contraires à une bonne éducation.
Il est difficile aujourd’hui de mesurer les résistances que le récit policier a dû vaincre avant d’être toléré. L’étiquette « policière » apposée sur les couvertures est relativement récente.

3- Vous faites de 1986 avec le lancement de la collection Souris noire la date de "naissance du polar jeunesse moderne". Il me semble que depuis 1986 la préoccupation sociale a perdu du poids dans le polar jeunesse. Faites-vous le même constat et, si oui, comment l'expliquez-vous?

Joseph Périgot est allé chercher des auteurs d’aujourd’hui, les Jonquet, les Daeninckx, Quint ou Benacquista, pour écrire sur des sujets d’aujourd’hui. Des thèmes nouveaux, jusqu’alors exclus, apparaissent même si leur violence est édulcorée : meurtre, tueur, prise d’otages, sévices familiaux. D’autres éditeurs désormais plus hardis, convaincus qu’on peut s’inspirer de la tradition du roman noir américain, avec des histoires qui ne finissent pas toujours bien, vont enfin prendre en compte les réalités sociales, accessibles à la jeunesse et des collections spécifiques, représentant tous les types de récits policiers, vont voir le jour : « Cascade policier », « Page noire », bien avant « doAdo noir » « Oskar polar » ou « Chambres noires »…
L’enfant (ou l’adolescent) enquêteur, agissant seul ou en petit groupe, n’a en tout cas pas disparu, même si les détectives ou policiers adultes sont plus nombreux qu’autrefois.
Si la « préoccupation sociale » a effectivement « perdu du poids », c’est d’abord, d’une part, en raison des diverses régressions (morales, économiques, sociales) que nous connaissons. C’est d’autre part pour des raisons commerciales. La littérature jeunesse est devenue un secteur économique qui a beaucoup progressé ces 20 dernières années et a séduit un domaine entré dans un stade industriel, avec les concentrations croissantes des grands groupes d’édition. Les objectifs commerciaux ont généralement pris le pas sur les objectifs éducatifs et le développement du libéralisme à tout crin et celui de l’individualisme ont aussi pesé de leurs poids négatifs. Ajoutons que l’omniprésence des séries policières à la télévision, offertes sur toutes les chaînes sans grand souci de l’âge du téléspectateur (les indications d’âge affichées étant peu respectées), ont atténué l’impact du polar jeunesse, toujours aussi contraint par la loi pourtant bien obsolète du 16 juillet 1949.

Entretien réalisé les 13 et 14 mars 2011
Par Philippe Geneste

13/03/2011

Des représentations verbale et iconique du monde

Riboud Marc, Chaine Catherine, I comme Image, Gallimard jeunesse/Les Trois Ourses, 2010, 144 p. 16€90
dès 7/8 ans
Le photographe légendaire de l’agence Magnum, à côté de Cartier Bresson et Robert Capa, propose un abécédaire en photographie en collaboration avec son épouse, la journaliste et écrivaine Catherine Chaine. C’est un abécédaire du monde, un abécédaire de l’actualité de l’ailleurs et de l’ici, par lequel Riboud propose à l’enfant de saisir sa représentation de choses ou d’événement, de phénomènes ou de sentiments. Il n’y a pas de doute qu’une lecture avec l’enfant aidera celui-ci à s’arrêter sur les images pour en titrer la substantielle signification. La photographie sert, alors à déclencher une exploration du sens, à passer de la signification contextuelle au sens de langue que forge l’enfant à partir de l’image photographique.
Notre seule critique portera sur la préface de Catherine Chaine. Elle brouille un peu le message, même si elle est très stimulante. D’abord, elle s’adresse à des adolescents et à des adultes, alors que le livre peut être lu même par des enfants de six ans ; ensuite, la préface impose une lecture : « C’est l’image qui fait le mot ». Nous croyons que cette affirmation est une voie possible de la lecture du livre mais sûrement pas la voie dominante. Mais cela a peu d’importance car les enfants de 7 à13 ans ne s’embarrasseront pas de sa lecture trop compliquée.
Une dernière remarque : un abécédaire est fait pour apprendre les lettres ; il semble que celui-ci est fait pour conjuguer une lettre à un mot et explorer le sens du mot par ce qui l’évoque autant que par ce qu’il évoque. Un très beau livre porteur d’une grande richesse de lectures.
Philippe Geneste

06/03/2011

Récit d'hier et d'aujourd'hui

Huxley Aldous, Les Corbeaux de Pearlblossom, traduction d'Anne Krief, illustrations de Alemagna Béatrice, 2005, 32 p., 11€90 – Nouvelle édition en jeunesse par Gallimard dans la collection Premières lectures et découvertes, n°53, 2011, 32 p., 4€50
Cet album de très grand format livre l'unique récit destiné à l'enfance écrit par l'auteur du Meilleur des mondes (1931) né en 1894 et mort en 1963. Il l'écrivit en 1944 pour sa nièce Olivia Mélusine de Hauteville qui avait alors 5 ans. C'est la première fois semble-t-il que ce texte se trouve traduit en français. Une mère corbeau voit ses œufs disparaître sitôt qu'elle s'échappe du nid pour aller chercher à se nourrir. C'est un serpent qui a élu domicile au pied du même arbre qui les lui mange. Le corbeau trouvera une aide avec le hibou qui saura piéger le serpent qui finira en corde à linge pour les langes des petits corbeaux. C'est un récit anthropomorphique, donc, qui s'offre à une multiplicité d'interprétations. A le bourgeois mangera les pissenlits par la racine pourrait se substituer le croqueur d'œufs finira en corde à linge. On nous rétorquera, avec une certaine justesse, que Huxley n'était pas politiquement très engagé en faveur des luttes ; toutefois ce récit annonce clairement qu'il ne doit pas être lu littéralement mais qu'il est bien un apologue, ce qui, on l'admettra sans peine, est bien dans la veine des romans de Huxley. Les illustrations par collages œuvrent à une distance entre sens littéral et sens second de l'ouvrage tout en renforçant –nous le regrettons- le côté anthropomorphique du livre. Donc, un texte intelligent, de très belles illustrations, un apport de la littérature jeunesse à la connaissance d'un auteur hors du commun.
Philippe Geneste