S’il est un thème récurrent en littérature destinée à la jeunesse, c’est celui de l’animal. L’anthropomorphisme est le revers du succès thématique. Celui-ci peut prendre le chemin du merveilleux comme chez Qu Lan, celui du fablier comme chez Iwamura et Delessert, de l’allégorie tel l’album Spartacus, de l’ouverture à une culture animiste comme chez Lavrard-Meyer. Dans ces différentes occurrences, l’anthropomorphisme n’a pas la même tonalité : de réducteur à l’humanité il peut être ouverture aux cultures humaines. Par l’animal, les créateurs s’affranchissent, généralement de toute inscription dans l’Histoire et de toute réflexion sociale. En revanche, les personnages du règne animal offrent prise à la réflexion philosophique et, par l’allégorie, à une dimension anthropologique.
Qu Lan, Le Chat bonheur, Chan-Ok – Flammarion, 2011, 32 p. 14€
Ce conte japonais classique est servi par des illustrations émouvantes de Qu Lan. C’est l’histoire d’une peau de chagrin : un chat fidèle se sacrifie pour sauver son maître de la détresse. Quand celui-ci s’aperçoit du geste de son chat, il comprend son égoïsme et maudit sa convoitise et son goût de l’argent. Le sacrifice du chat va permettre à l’humain de se mettre à l’œuvre, de s’investir dans son travail renouant, alors, avec ses ancêtres.
C’est un conte très émouvant qui touche beaucoup les jeunes lecteurs à qui on le raconte comme ceux, dès 8/9 ans qui le lisent seuls.
Iwamura Kazuo, Les Réflexions d’une grenouille – L’intégrale, coll. Albums jeunesse, éditions Autrement, 2011, 224 p. 19€90 pour tous les âges
Cet auteur illustrateur pour l’enfance, né en 1939 à Tokyo, flirte avec la philosophie et la bande dessinée. Qui suis-je ? Qu’y a-t-il au bout du chemin ? Où commence le ciel ? Que veut dire aimer ? Pourquoi la pluie ? Pourquoi rêve-t-on ? Qu’est-ce que signifie vivre ? La grenouille réfléchit en dialoguant avec une souris, avec un escargot, avec une libellule, avec la lune… Proche de la BD ces pages n’appartiennent pas à ce genre car elles se lisent par colonne et non pas par planche. Quant au texte, il est minimaliste et souvent répétitif, afin d’être drôle tout en assurant un suivi de la compréhension du très jeune lecteur.
C’est une œuvre considérable que celle-ci. Les réflexions de la grenouille reposent sur ce qu’elle observe, ce qu’elle ressent, ce qu’elle s’imagine dans sa tête. Et tout ceci est transcrit clairement par les dialogues de l’album. Nous parlons d’album car il ne s’agit pas d’histoire mais bien de dialogues où la réflexion l’emporte sur toute autre chose. Mais, encore une fois, sans être hors de portée des enfants. Remarquable et en prise avec la représentation du monde chez l’enfant.
Mon premier imagier des animaux sauvages, illustratrice Nathalie Choux, Nathan, coll. Kididoc, 2011, 10 p. 5€90
Le zèbre, le lion, la girafe, l’hippopotame, l’éléphant, la baleine, la pieuvre, le poisson-clown, le dauphin, le cerf, l’ours, le loup, le renard, le tigre, le crocodile, le serpent, sont mis en jeu dans des pages animées pour des petits doigts manipulateurs et curieux. Ici, l’animal vaut pour sa silhouette, pour sa désignation.
Delessert Etienne, Spartacus l’araignée, Gallimard, coll. Giboulées, 2010, 27 p. 12€
Dès 3 ans
Auteur-illustrateur Suisse éditeur d’avant-garde dans les années soixante-dix et quatre-vingt, Delessert propose un album en clin d’œil autant au personnage historique de l’antiquité qu’au Victor Hugo de « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie parce qu’on les hait… ». L’insecte est l’héroïne du récit, allégorie de la thématique de la libération : mais libération de quel esclavage ?
Il faut lire l’histoire pour le savoir.
Les illustrations, où dominent les plans rapprochés, ne fourmillent pas de détails mais sont riches de scènes intermédiaires qui laissent libre l’enfant de vaquer au gré de son imaginaire. C’est l’histoire à la première personne d’une araignée peu tisserande. Humiliée par mouches et papillons qui s’amusent de ses toiles trop fragiles, Spartacus va se rebeller une première fois en confectionnant un fil incassable. La voilà super héroïne. Mais Spartacus n’a que faire de la gloire tyrannique. Alors, elle revient à ses fils peu solides pour que le monde s’affranchisse de toutes les prisons et de tout orgueil démesuré de soi.
Cet album est une leçon de chose à contrecourant de l’individualisme ambiant. Spartacus l’araignée est une allégorie de la liberté qu’il s’agit de construire en soi-même pour vivre avec les autres et non pour les dominer.
Delessert Etienne, Yok-Yok, les monstres, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, l’escargot, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, le chat qui parle trop, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, les bons, les mauvais, Delessert Etienne, Yok-Yok, une noix, Gallimard, Giboulées, 2011, coffret + 40 p. 9€90 A partir de 3 ans
Yok-Yok, Noire la souris et Josée la chenille, explorent le monde avec humour, amusement, et beaucoup d’anthropomorphisme qu’il s’agisse du règne animal ou du règne végétal. La tendresse est au rendez-vous au croisement de quelque leçon d’éthique sur l’entraide et la différence. Le volume, Yok-Yok, les monstres, est particulièrement réussi qui finit par avouer que ces monstres attendrissant par leurs penchants humains avérés sont en fait de pures créations de l’homme. Mais pour commencer la lecture, il est bon de lire Yok-Yok, une noix, présenté sous coffret pour assister à la naissance du lutin Yok-Yok. Le livre objet comprend une noix qui s’ouvre avec la figurine du héros.
Lavrard-Meyer Cécile, Fidy et les pierres de Madagascar, illustrations de Angel Jérèmy, L’Harmattan, 2011, 16 p. 7€
Dans la riche collection « Contes des 4 vents », Angel Jérémy illustre un récit à la première personne d’un gamin de Madagascar ami avec un lémurien. C’est l’animal qui raconte à l’enfant l’origine des pierres de couleurs que cherche le père sous terre. Elles proviennent d’une collision entre un arc-en-ciel et la plus haute branche du grand baobab. Le heurt a entraîné une pluie de couleurs qui a pénétré dans la terre et ainsi sont enfouies les pierres de lune, les émeraudes, les rubis, les saphirs, les aigues-marines, les citrines.
Le récit navigue entre les éléments, les animaux et les humains, recréant un univers d’harmonie où tout ce qui vit sur terre et la constitue se répond et se correspond, entre en relation sans volonté de domination. L’anthropomorphisme relève, là, de l’animisme. Les animaux portent un nom. L’eau est bleue parce que le ciel s’y est noyé, le sable jaune parce que la girafe y a fait tomber une citrine. La lune et les nuages sont le fruit de la chouette qui transporte les pierres de lune. La forêt renaît grâce aux makis espiègles qui ont volé une émeraude. C’est le rubis rouge sang, délivré par le trépignement des zébus qui donne sa couleur à la terre natale de l’enfant. Le caméléon vit, lui, des couleurs que lui a prêté l’île. Après le père, ce sera au tour de l’enfant de rendre au monde les couleurs de la vie. Voilà un beau conte de Cécile Lavrard-Meyer.
Qu Lan, Le Chat bonheur, Chan-Ok – Flammarion, 2011, 32 p. 14€
Ce conte japonais classique est servi par des illustrations émouvantes de Qu Lan. C’est l’histoire d’une peau de chagrin : un chat fidèle se sacrifie pour sauver son maître de la détresse. Quand celui-ci s’aperçoit du geste de son chat, il comprend son égoïsme et maudit sa convoitise et son goût de l’argent. Le sacrifice du chat va permettre à l’humain de se mettre à l’œuvre, de s’investir dans son travail renouant, alors, avec ses ancêtres.
C’est un conte très émouvant qui touche beaucoup les jeunes lecteurs à qui on le raconte comme ceux, dès 8/9 ans qui le lisent seuls.
Iwamura Kazuo, Les Réflexions d’une grenouille – L’intégrale, coll. Albums jeunesse, éditions Autrement, 2011, 224 p. 19€90 pour tous les âges
Cet auteur illustrateur pour l’enfance, né en 1939 à Tokyo, flirte avec la philosophie et la bande dessinée. Qui suis-je ? Qu’y a-t-il au bout du chemin ? Où commence le ciel ? Que veut dire aimer ? Pourquoi la pluie ? Pourquoi rêve-t-on ? Qu’est-ce que signifie vivre ? La grenouille réfléchit en dialoguant avec une souris, avec un escargot, avec une libellule, avec la lune… Proche de la BD ces pages n’appartiennent pas à ce genre car elles se lisent par colonne et non pas par planche. Quant au texte, il est minimaliste et souvent répétitif, afin d’être drôle tout en assurant un suivi de la compréhension du très jeune lecteur.
C’est une œuvre considérable que celle-ci. Les réflexions de la grenouille reposent sur ce qu’elle observe, ce qu’elle ressent, ce qu’elle s’imagine dans sa tête. Et tout ceci est transcrit clairement par les dialogues de l’album. Nous parlons d’album car il ne s’agit pas d’histoire mais bien de dialogues où la réflexion l’emporte sur toute autre chose. Mais, encore une fois, sans être hors de portée des enfants. Remarquable et en prise avec la représentation du monde chez l’enfant.
Mon premier imagier des animaux sauvages, illustratrice Nathalie Choux, Nathan, coll. Kididoc, 2011, 10 p. 5€90
Le zèbre, le lion, la girafe, l’hippopotame, l’éléphant, la baleine, la pieuvre, le poisson-clown, le dauphin, le cerf, l’ours, le loup, le renard, le tigre, le crocodile, le serpent, sont mis en jeu dans des pages animées pour des petits doigts manipulateurs et curieux. Ici, l’animal vaut pour sa silhouette, pour sa désignation.
Delessert Etienne, Spartacus l’araignée, Gallimard, coll. Giboulées, 2010, 27 p. 12€
Dès 3 ans
Auteur-illustrateur Suisse éditeur d’avant-garde dans les années soixante-dix et quatre-vingt, Delessert propose un album en clin d’œil autant au personnage historique de l’antiquité qu’au Victor Hugo de « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie parce qu’on les hait… ». L’insecte est l’héroïne du récit, allégorie de la thématique de la libération : mais libération de quel esclavage ?
Il faut lire l’histoire pour le savoir.
Les illustrations, où dominent les plans rapprochés, ne fourmillent pas de détails mais sont riches de scènes intermédiaires qui laissent libre l’enfant de vaquer au gré de son imaginaire. C’est l’histoire à la première personne d’une araignée peu tisserande. Humiliée par mouches et papillons qui s’amusent de ses toiles trop fragiles, Spartacus va se rebeller une première fois en confectionnant un fil incassable. La voilà super héroïne. Mais Spartacus n’a que faire de la gloire tyrannique. Alors, elle revient à ses fils peu solides pour que le monde s’affranchisse de toutes les prisons et de tout orgueil démesuré de soi.
Cet album est une leçon de chose à contrecourant de l’individualisme ambiant. Spartacus l’araignée est une allégorie de la liberté qu’il s’agit de construire en soi-même pour vivre avec les autres et non pour les dominer.
Delessert Etienne, Yok-Yok, les monstres, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, l’escargot, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, le chat qui parle trop, Gallimard, Giboulées, 2011, 40 p. 6€ ; Yok-Yok, les bons, les mauvais, Delessert Etienne, Yok-Yok, une noix, Gallimard, Giboulées, 2011, coffret + 40 p. 9€90 A partir de 3 ans
Yok-Yok, Noire la souris et Josée la chenille, explorent le monde avec humour, amusement, et beaucoup d’anthropomorphisme qu’il s’agisse du règne animal ou du règne végétal. La tendresse est au rendez-vous au croisement de quelque leçon d’éthique sur l’entraide et la différence. Le volume, Yok-Yok, les monstres, est particulièrement réussi qui finit par avouer que ces monstres attendrissant par leurs penchants humains avérés sont en fait de pures créations de l’homme. Mais pour commencer la lecture, il est bon de lire Yok-Yok, une noix, présenté sous coffret pour assister à la naissance du lutin Yok-Yok. Le livre objet comprend une noix qui s’ouvre avec la figurine du héros.
Lavrard-Meyer Cécile, Fidy et les pierres de Madagascar, illustrations de Angel Jérèmy, L’Harmattan, 2011, 16 p. 7€
Dans la riche collection « Contes des 4 vents », Angel Jérémy illustre un récit à la première personne d’un gamin de Madagascar ami avec un lémurien. C’est l’animal qui raconte à l’enfant l’origine des pierres de couleurs que cherche le père sous terre. Elles proviennent d’une collision entre un arc-en-ciel et la plus haute branche du grand baobab. Le heurt a entraîné une pluie de couleurs qui a pénétré dans la terre et ainsi sont enfouies les pierres de lune, les émeraudes, les rubis, les saphirs, les aigues-marines, les citrines.
Le récit navigue entre les éléments, les animaux et les humains, recréant un univers d’harmonie où tout ce qui vit sur terre et la constitue se répond et se correspond, entre en relation sans volonté de domination. L’anthropomorphisme relève, là, de l’animisme. Les animaux portent un nom. L’eau est bleue parce que le ciel s’y est noyé, le sable jaune parce que la girafe y a fait tomber une citrine. La lune et les nuages sont le fruit de la chouette qui transporte les pierres de lune. La forêt renaît grâce aux makis espiègles qui ont volé une émeraude. C’est le rubis rouge sang, délivré par le trépignement des zébus qui donne sa couleur à la terre natale de l’enfant. Le caméléon vit, lui, des couleurs que lui a prêté l’île. Après le père, ce sera au tour de l’enfant de rendre au monde les couleurs de la vie. Voilà un beau conte de Cécile Lavrard-Meyer.
Philippe Geneste